

Rapport d’expertise judiciaire sur les orques: 84 pages de platitudes malgré des dysfonctionnements à Marineland
Deux réunions en quinze mois, six mois de retard pris par Marineland avant d’envoyer les documents et des dizaines de courriels échangés entre les parties, dont des relances à n’en plus finir aux experts. Alors en pleine procédure, le parc n’a pas jugé utile de les prévenir du décès d’Inouk afin qu’ils puissent prendre part à son autopsie. Ils l’ont donc appris par la presse. Ils ont choisi de se murer dans le silence depuis juin 2024 et n’ont même pas daigné envoyer de fiche de synthèse afin que les grandes lignes puissent être discutées avant le rendu final du rapport, empêchant la moindre mise au point en amont comme le veut la pratique. Un manque de courage qui est à l’évidence une occasion manquée, et à la limite des règles de l’exercice.
Le rapport d’expertise ordonné par le tribunal de Grasse à la demande de One Voice a été rendu le 7 avril 2025. Nous faisions face à Marineland sur la qualité de l’eau et l’état des bassins, mais surtout sur la santé d’Inouk et Moana, puis de Wikie et Keijo.
Nous livrons aujourd’hui au grand public ce rapport accompagné de notre analyse de celui-ci.
Si certains éléments indéniables sont certes soulignés (tels que les maladies de Moana ou les problèmes dentaires d’Inouk), les raisons du développement de cet état ne sont à aucun moment questionnées, alors que c’était précisément le rôle de cette procédure.
Les spécialistes des cétacés que One Voice a diligentés pour participer à l’expertise, les Drs P. Gallego et D. Perpiñan, ainsi que nos trois avocates, Mes C. Lanty, C. Robert et M. Voutsas, dénoncent aujourd’hui à nos côtés les pratiques catastrophiques de gestion des orques au Marineland d’Antibes, révélant que nos inquiétudes étaient fondées… s’il était encore besoin de le démontrer puisque notre demande d’expertise alertait sur la santé de Moana et d’Inouk, décédés pour l’un deux semaines, pour l’autre six mois, après la décision du tribunal de l’ordonner.
Nous déplorons donc le manque de recul et de regard critique des deux experts diligentés par la cour vis-à-vis des éléments transmis – de mauvaise grâce – par Marineland.
Voici notre analyse :
- Erreurs manifestes dans les dossiers médicaux
Certes, le mot « orque » est un substantif qui s’accorde au féminin dans la langue française, et Moana finit par la lettre a, mais l’on était en droit de s’attendre à mieux: l’expertise révèle que, dans le dossier de Moana, les experts de la cour se sont trompés dans le sexe de l’orque – présentée comme une femelle alors qu’il s’agissait d’un mâle –, révélant ainsi leur méconnaissance troublante du dossier. - Traitements prolongés et inadéquats
Les dossiers médicaux montrent que Moana, suivi du 5 janvier 2023 jusqu’à sa mort le 18 octobre 2023 (soit 292 jours), a été soumis à des traitements lourds et répétés :- antibiotiques pendant 107 jours (37 % de la période);
- corticoïdes pendant 31 jours (11 %);
- antidouleurs pendant 36 jours (12 %);
- antifongiques pendant 21 jours (7 %).
Ces traitements, entre autres associés à des interventions dentaires invasives et douloureuses, témoignent d’un suivi vétérinaire très largement insuffisant pour pouvoir éviter une détérioration irréversible de l’état de santé de l’animal.
Le Dr Pierre Gallégo, vétérinaire consultant de One Voice, spécialiste des cétacés, témoigne à ce propos :
« Certaines procédures dentaires lourdes se sont étalées sur des durées extrêmement longues. Ainsi le forage d’une des dents de Moana a débuté avant le 5 janvier 2023 pour se terminer le 31 janvier 2023. Cette intervention a été suivie de soins post-forage (curetage du pus dans le canal foré) qui ont duré, eux, jusqu’à la veille de sa mort, le 18 octobre 2023. Il a donc souffert de graves infections dentaires pendant une longue période de temps (292 jours au minimum) qui ont nécessité des traitements lourds, répétés et prolongés en antibiotiques et antidouleurs, des interventions dentaires importantes et douloureuses, avec des poches parodontales infectées nécessitant des rinçages pour éliminer le pus. Il est très clair que Moana a souffert de douleurs dentaires fortes pendant très longtemps, jusqu’à sa mort. Qui peut croire un instant que l’orque allait bien et que les craintes de One Voice n’étaient pas justifiées. Quant à la gestion des orques par le Marineland d’Antibes, elle est tout simplement catastrophique. »
- Omissions diagnostiques critiques
Le rapport pointe également le fait que des pathologies telles que la pneumonie, la gastrite ulcéreuse et la présence de corps étrangers dans le corps de Moana et d’Inouk – diagnostiquées a posteriori lors de l’autopsie – n’ont jamais été traitées de manière adaptée par le vétérinaire de Marineland, occupé en priorité par des interventions dentaires répétitives. Ce manque d’investigation a contribué à laisser des douleurs non soulagées et à aggraver la souffrance des orques, jusqu’au point de non-retour. Inouk souffrait ainsi d’une ostéomyélite de la mâchoire, c’est-à-dire d’une inflammation et de la destruction des os dues à des bactéries, des mycobactéries ou des champignons. Une infection grave, atroce, chronique, non soignée correctement, ce qui signifie qu’Inouk a souffert pendant très longtemps.
Des souffrances attribuées à un environnement inadapté
- Conséquences des comportements stéréotypés
L’analyse établit que l’usure dentaire, responsable de lésions sévères chez Moana et Inouk, résulte d’un comportement stéréotypé induit par l’ennui et la souffrance en captivité. Le manque d’enrichissement comportemental et les bassins trop petits les auraient conduits à mordre les parois et structures métalliques, favorisant ainsi l’apparition d’une souffrance chronique et sévère. - Troubles observés chez plusieurs orques
Les cas de Wikie et Keijo, bien qu’étant jugés « normaux » sur la base des documents fournis par le Marineland, contrastent avec les constats accablants sur Moana et Inouk. De nombreux signes, tels que l’érosion dentaire généralisée, des déformations de la nageoire dorsale (présente chez 100 % des mâles adultes en captivité) et des comportements anormaux de retrait social, témoignent d’un mal-être latent et d’une prise en charge insuffisante.
Des incohérences criantes concernant les infrastructures du parc
- Contradiction entre déclarations officielles et réalité
Au cours de toutes ces années, en réponse à nos alertes, le parc et le ministère disaient que tout allait bien dans le meilleur des mondes…
Alors que le rapport des experts affirme que les infrastructures (bassins et système de circulation d’eau) sont conformes aux normes sanitaires minimales, le fait que le Marineland d’Antibes et la ministre de l’Écologie, Agnès Pannier-Runacher, exigent, à présent que le parc est fermé, un transport urgent des orques — prétextant un état de dégradation avancé — soulève des interrogations. L’absence d’explications sur cette urgence, malgré les « travaux récurrents de réparation » rapportés, laisse penser que la réalité du terrain est bien plus préoccupante que ne le laissent entendre les experts. Où est la réalité? On ne le saura sans doute jamais, étant donné le manque de volonté des experts de se positionner et d’objectiver réellement la situation. - Manque de transparence dans la documentation
L’arrêt de la procédure par le tribunal (cour d’appel d’Aix, septembre 2023) prévoyait la remise d’un document de synthèse. Or, ce document n’a pas été produit, et la transmission tardive ou erratique des pièces du Marineland témoigne d’un manque de rigueur procédurale. Ce dysfonctionnement contribue à l’impression d’une « expertise rapportaire » qui a été confondue avec un simple reportage, sans investigation critique des faits.
En conclusion:
Un appel urgent à la refonte de la gestion et des pratiques
L’ensemble des éléments contenus dans les documents d’expertise démontre que la gestion des orques au Marineland d’Antibes est marquée par une accumulation d’erreurs diagnostiques, un suivi médical défaillant et une gestion des infrastructures en décalage avec les besoins réels des animaux. Le rapport conclut ainsi que ces dysfonctionnements – responsables d’importantes souffrances, voire de décès précoces – illustrent une atteinte grave au bien-être animal.
Face à ces constats, One Voice appelle à une refonte urgente de la gestion quotidienne des orques, incluant :
- Une révision complète des protocoles de suivi médical et des pratiques vétérinaires;
- Une remise en cause des conditions de captivité et un enrichissement comportemental adapté;
- Une transparence totale dans la communication des dossiers et des interventions réalisées;
- L’association réitère sa proposition faite au ministère et à Marineland au lendemain du décès de Moana en octobre 2023, et répétée le jour de la mort d’Inouk quelques mois plus tard, de financer entièrement la mission de vétérinaires et scientifiques spécialistes des orques de venir en prendre soin et donner ainsi une chance à Wikie et Keijo de ne pas connaître le même sort tragique que les autres membres de leur famille.