Qui a peur du pastoralisme ?
Les ennemis des loups les opposent régulièrement au pastoralisme, comme si ce mode d’élevage était le garant de la bonne santé de l’environnement montagnard. Or la densité des troupeaux et le pâturage intensif tel qu’il se pratique de nos jours exercent au contraire une pression sur les milieux, les ressources et les espèces sauvages qui y vivent. Qu’on arrête de nous raconter des histoires : s’il faut craindre une espèce dans les alpages, c’est bien la nôtre.
Pastoralisme. Un doux mot qui évoque pour beaucoup la communion de bergers et de troupeaux au cœur de paysages grandioses. Cette image bucolique ferait presque penser que les moutons, vaches ou chèvres paissant en chœur au grand air ne finiront jamais à l’abattoir. Et même que tous ces animaux réunis sont l’avenir de nos montagnes ! Remettons les pendules à l’heure. Alors que certains syndicats agricoles s’en prennent aux loups en les accusant de mettre en danger le pastoralisme et, à travers lui, la préservation des milieux et de la biodiversité tout entière, il est temps de rappeler certaines vérités aux antipodes des idées reçues.
Une pratique qui n’a plus rien de traditionnel
Bien souvent décrit comme « extensif » et vanté pour ses impacts positifs sur l’environnement, le pastoralisme a beau trouver ses sources parfois dès le début du Néolithique (il y a environ 6000 ans) dans les massifs de notre pays, il n’a plus grand-chose à voir avec celui de nos ancêtres. Révolu est le temps des transhumances traditionnelles où les bergers accompagnaient les animaux durant des jours vers les pâturages estivaux en changeant régulièrement de lieu de halte et en veillant sur chacun des membres du petit groupe. Ils ne sont qu’une poignée de pâtres et d’éleveurs à fonctionner encore de la sorte, tentant de conserver une certaine mobilité dans un territoire accaparé par les gros exploitants.
Car à l’heure de l’élevage industriel, la taille de la plupart des troupeaux a considérablement augmenté : certains peuvent atteindre 2000 brebis et leurs agneaux. Désormais acheminés en altitude en bétaillères, ils piétinent en estive au même endroit pendant des mois et souvent sans le moindre gardiennage ni mesures de protection pourtant subventionnées ! Cette situation conduit au surpâturage des prairies avec des conséquences dramatiques. « Les études scientifiques montrent que les activités pastorales peuvent avoir, à une échelle locale, un impact négatif sur la structure du sol et celle des communautés végétales, sur le cycle des nutriments ainsi que sur la sécurité en haute montagne (risques d’avalanche). À une échelle plus étendue, le pastoralisme peut entraîner le déclin des populations d’invertébrés (notamment la pédofaune) et des vertébrés avec lesquels le bétail entre en compétition (échelle régionale), voire contribuer à accroître les risques liés aux inondations (érosion des sols) et aux changements globaux (échelle mondiale) », expliquent les chercheurs Philippe Gaubert et Sean Heighton dans le rapport que nous publions. On est donc loin, voire à l’opposé souvent, des fameux services écosystémiques mis en avant par les acteurs et utilisateurs des espaces pastoraux…
Les loups ne sont pas les « méchants »
Pourtant, c’est sans complexe que ces mêmes acteurs et utilisateurs – les éleveurs industriels et les chasseurs, en l’occurrence – s’attaquent aux loups en les accusant de mettre à mal leurs pratiques soi-disant patrimoniales et naturelles. Pour conserver leur mainmise sur le monde vivant, ils n’hésitent pas à véhiculer des contre-vérités tant sur les bienfaits du pastoralisme moderne que sur les méfaits des loups avec lesquels ils refusent de cohabiter.
À bien y regarder, c’est plutôt la faune sauvage, dont les grands prédateurs, qui se retrouve victime du pastoralisme. Non l’inverse. Dans le rapport de nos deux spécialistes de la conservation, on comprend qu’entre la surexploitation des ressources végétales, la raréfaction des forêts, les risques sanitaires liés à l’utilisation de vermifuges à effet retard, la transmission de maladies par les animaux domestiques, la pression sur les zones de restauration écologique, la dégradation de la qualité des cours d’eau, il faut être vaillant pour parvenir à survivre dans des espaces fortement anthropisés et agressifs…
Et quand quelques loups y parviennent, on s’acharne sur eux, on leur tire dessus, comme s’il s’agissait des pires adversaires de la nature. On croit rêver… Car, sans tambour ni trompette, ce sont en réalité eux les véritables gardiens de la biodiversité…
Retrouvez notre rapport détaillé, et avec nous, dites stop à la persécution des loups en signant notre pétition.