La myopie éthique de l’expérimentation animale
Refus de condamner des pratiques génératrices de souffrances inutiles, évaluation « holistique » des comités d’éthique : les pirouettes des défenseurs de l’expérimentation animale n’en finissent plus.
En juin dernier, le congrès FELASA 2022 réunissait à Marseille de nombreuses personnes pratiquant l’expérimentation animale. Entre un poisson qui pêche à la ligne, une association internationale d’accréditation qui évalue les laboratoires « au feeling », et un éthicien qui ne veut surtout pas réfléchir au-delà de la réglementation, les animaux ne sont pas sortis d’affaire.
Jeudi 16 juin à Marseille. Lynn Sneddon est l’une des conférencières principales du congrès international dédié à la communication en expérimentation animale. Sneddon a mené des recherches approfondies sur les analgésiques pour les poissons. Elle reconnait l’importance de leur « bien-être » et a même écrit à son gouvernement et discuté avec l’industrie aquacole pour tenter de faire améliorer les pratiques.
Elle va jusqu’à citer Gandhi : « On peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités ». Une opposante à l’expérimentation animale seront donc venue faire bouger les lignes pour mettre fin à ces pratiques ? Malheureusement, non.
Les animaux souffrent – mais chacun ses choix
Dès qu’il s’agit de parler de décisions politiques et morales, il n’y a plus personne. Alors qu’elle-même a participé à la découverte de l’existence de la douleur des poissons, Sneddon se plaint que les médias en aient conclu qu’il faudrait interdire la pêche à la ligne. Après tout, elle a des amis pêcheurs qui ne voudraient pas arrêter. En somme, chacun ses choix – et tant pis pour les poissons.
Si l’ironie n’était pas assez visible jusqu’ici, les photographies du congrès partagées sur Twitter permettent de mieux mesurer à quel point ces personnes peuvent être déconnectées du mal qu’elles font aux animaux : d’un côté, Lynn Sneddon avec Florence the Fish (mascotte du congrès) ; de l’autre, Florence the Fish en train… de pêcher à la ligne.
L’évaluation éthique en question
On peut donc légitimement se demander si l’évaluation « éthique », régulièrement invoquée par les autorités publiques pour défendre l’expérimentation animale, repose sur une base bien solide.
Même le représentant de l’AAALAC (association qui accrédite les laboratoires animaliers partout dans le monde) reconnait que le processus d’évaluation est hétérogène et que son résultat ne peut pas être évalué. L’évaluation se fait donc « au feeling », sur la base de ce qui est observé le jour de l’inspection (prévue largement à l’avance).
L’analyse coût-bénéfice, au cœur de la rhétorique…
Ce même représentant souligne pourtant bien l’importance de l’analyse « coût-bénéfice », comparaison du coût réel pour les animaux (stress, souffrances…) et des bénéfices potentiels (généralement pour l’espèce humaine). Mais quand on lui demande comment évaluer si cette analyse est bien faite par les comités d’éthique, il botte en touche : « on fait ce qu’on peut », « il faut une vue plus holistique ».
À des questions plus spécifiques sur la vérification des bénéfices envisageables, un autre intervenant répond que le financement d’un projet signifie en soi que le projet aura des bénéfices. C’est une belle utopie de croire que les financements ne reposent que sur le mérite scientifique des projets… à moins qu’il ne s’agisse encore d’un argument moisi.
Des méthodes d’évaluation des comités d’éthique et de leurs résultats existent pourtant. Une étude publiée en 2001 a même comparé systématiquement les résultats de l’évaluation d’un même projet par plusieurs comités états-uniens… aboutissant à la conclusion que l’évaluation n’était pas fiable. Cela explique peut-être pourquoi de tels essais n’ont jamais été reproduits – ni aux États-Unis, ni en France, où le fonctionnement des comités d’éthique en expérimentation animale devrait être réformé de manière radicale.
Éthique ou réglementation ?
Pour finir, on retiendra tout de même une belle surprise lors de ce congrès : l’intervention de Penny Hawkins, de la RSPCA (association britannique de protection animale), qui a osé remettre en question la notion même de « considération éthique ». Hawkins a ainsi rappelé que l’éthique doit aller plus loin que l’application de la réglementation et des éternels 3R (Remplacer, Réduire, Raffiner), le « bien-être animal » ou l’analyse coût-bénéfice, pour orienter la manière dont on devrait mener nos vies.
Pour elle, « un comité d’éthique devrait pouvoir décider qu’une technique ne devrait pas être utilisée, ou qu’un domaine de recherche ne devrait pas être exploré ». Malheureusement, la seule réponse à cette proposition est venue d’un professeur d’éthique autrichien, qui a senti le besoin d’affirmer que l’éthique ne devrait jamais aller plus loin que la loi, afin de ne pas empiéter sur la liberté académique.
Une liberté à laquelle Penny Hawkins ne croit pas, notamment quand les équipes de recherche sont financées par l’argent public. On pourra facilement la suivre sur ce point.
Cet article est l’avant-dernier d’une série qui présente différents aspects du congrès FELASA 2022 :
- Transparence et stratégie de communication en expérimentation animale
- Éléments de langage et moisissures argumentatives de l’expérimentation animale
- L’industrie de l’expérimentation animale fait sa propagande
- La myopie éthique de l’expérimentation animale
- Bientôt plus de primates dans les laboratoires ?