Bientôt plus de primates dans les laboratoires ?

Bientôt plus de primates dans les laboratoires ?

Expérimentation animale
03.10.2022
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En juin dernier, lors du congrès international FELASA 2022, on a bien senti que les restrictions sur l’utilisation des primates en expérimentation n’étaient pas au goût de tout le monde.

Alors que la Chine n’exporte plus de singes et de guenons vers les laboratoires depuis deux ans, Air France prévoit la fin de leur transport pour bientôt et l’Union européenne s’apprête à interdire l’utilisation des primates nés de parents capturés dans la nature. Des changements qui ne sont pas au goût de tout le monde…

Vendredi 18 juin à Marseille. Le congrès international FELASA 2022 est terminé, et il nous laisse un goût amer. Parmi les dernières interventions du congrès, le président du lobby européen de l’expérimentation animale a tenu à parler de la menace qui pèse sur l’utilisation des primates par les laboratoires. Une mauvaise chose, selon lui.

Les primates de première génération en captivité bientôt interdits

En effet, l’utilisation de nouveaux primates de première génération née en captivité (« F1 », c’est-à-dire dont les parents ont été capturés à l’état sauvage) sera théoriquement interdite à compter de novembre 2022, d’après un rapport de la Commission européenne rendu en 2017 à la suite d’une étude de faisabilité.

Au sein du congrès, les réactions sont mitigées, au mieux. Après tout, « quelle différence entre F1 et F2+, puisque tous sont nés en captivité et n’ont rien connu d’autre ? ». Comme si cela justifiait quoi que ce soit… Et « si la réglementation s’inquiétait des captures et voulait les décourager par cette mesure, elle aurait dû le préciser » ! Ce qu’elle fait, explicitement, puisqu’on lit dans le rapport de la Commission européenne que cette mesure vise à « mettre un terme à la capture de primates non humains à l’état sauvage à des fins scientifiques et d’élevage ».

Enfin, il ne faudrait pas que des chercheuses et des chercheurs très préoccupés du « bien-être » de « leurs » animaux s’exportent en Chine, où les conditions sont « déplorables », si l’Union européenne en venait à trop restreindre leurs sources d’approvisionnement ou à poser des limites trop strictes à ce qu’ils peuvent infliger aux primates. La préoccupation pour ce « bien-être animal » ne vaudrait donc que si la réglementation locale l’impose ?

On parlait dans le billet précédent de myopie éthique, mais elle atteint ici un tout autre niveau, et on aurait du mal à croire qu’elle n’est pas volontairement entretenue par l’industrie.

Le problème des captures

On entend même de la part d’une chercheuse que les difficultés de cohabitation pourraient justifier la capture d’individus par les élevages qui fournissent les laboratoires. Encore une moisissure argumentative dont les prémisses sont contredites par un webinaire récent organisé par la coalition Asia for Animals (dont One Voice fait partie).

Il est vrai que la cohabitation entre la population humaine et les autres primates est parfois difficile – ce qui implique des problématiques d’insécurité pour les personnes humaines, et à des maltraitances et des trafics régulièrement violents pour les primates non humains (en particulier les macaques). Mais les spécialistes de ce sujet soulignent bien que c’est l’éducation des populations humaines à la gestion des déchets et au partage de l’espace avec les autres espèces qui est primordiale pour résoudre les conflits de cohabitation, en parallèle de campagnes de stérilisation ciblée des femelles macaques.

Les captures n’ont jamais rien résolu, et ont même créé un nouveau problème : malgré des proliférations locales, les macaques à longue queue sont aujourd’hui menacés d’extinction à l’échelle mondiale. Dès les années 2000, un rapport de la CITES mentionnait le risque représenté par les captures pour ces populations de macaques. Et il ne s’y trompait pas : cette espèce a été classée « vulnérable » en 2020, puis « en danger » en 2022 sur la liste rouge de l’IUCN.

Un classement qui fait écho à l’embargo de la Chine sur les exportations de primates depuis le début de la pandémie de Covid-19, mais aussi à la décision récente d’Air France d’arrêter bientôt les transports de primates vers les laboratoires.

La bataille médiatique

Face à cette convergence de facteurs qui pourrait accélérer la fin de l’utilisation des primates en expérimentation, les médias font face à deux sons de cloche.

D’un côté, les personnes qui défendent l’expérimentation animale s’organisent au sein de leurs interprofessions pour convaincre le public et les politiques que l’utilisation des primates est absolument indispensable à la découverte de nouveaux traitements – mettant de côté le recul épistémologique qui devrait caractériser tout travail de recherche scientifique.

De l’autre, les associations et les personnes qui veulent voir la fin de l’expérimentation animale tentent comme elles peuvent d’avoir voix au chapitre, par des tribunes ou par des lettres adressées aux médias pour dénoncer le traitement unilatéral du sujet.

Le travail journalistique est très complexe. Mais le travail démocratique l’est encore plus quand des établissements publics et des entreprises privées se regroupent pour défendre des pratiques décriées par le public et reposant sur une injustice fondamentale.

Nous invitons les journalistes à nous contacter afin d’équilibrer les débats sur la base d’informations sourcées parfois difficilement accessibles.

Cet article est le dernier d’une série qui présente différents aspects du congrès FELASA 2022 :

  1. Transparence et stratégie de communication en expérimentation animale
  2. Éléments de langage et moisissures argumentatives de l’expérimentation animale
  3. L’industrie de l’expérimentation animale fait sa propagande
  4. La myopie éthique de l’expérimentation animale
  5. Bientôt plus de primates dans les laboratoires ?
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