Les perroquets
Les perroquets (famille des Psittacidés) ont une vie mentale et émotionnelle particulièrement riche. L’intelligence de certains d’entre eux est comparable à celle des grands singes, des dauphins ou des éléphants.
Les perroquets (famille des Psittacidés) ont une vie mentale et émotionnelle particulièrement riche. L’intelligence de certains d’entre eux est comparable à celle des grands singes, des dauphins ou des éléphants.
Tout commence avec Alex
A la fin des années 1970, à l’université d’Harvard, les travaux d’Irène Pepperberg avec Alex ont révolutionné notre regard sur l’intelligence des perroquets et plus largement sur celle des oiseaux. Alex, mort en 2007, était un perroquet gris du Gabon qui portait l’acronyme « Avian Learning EXperiment ». Ses capacités cognitives se sont révélées tout à fait stupéfiantes et ont ouvert la voie à d’autres études, notamment françaises, portant sur le langage « naturel » des perroquets sauvages ou sur leur vie émotionnelle.
Alex faisait usage de façon référentielle à de nombreux mots humains (Pepperberg, 1999). Il pouvait nommer correctement plus d’une centaine d’objets (Pepperberg, 1990). Il désignait sans difficulté les points communs ou les différences entre les objets (forme, couleur, texture, etc.). À la question : « De quelle matière est fait cet objet (bois, tissu, plastique) ? », Alex répondait correctement. Alex maîtrisait aussi le concept d’absence et de zéro, savait compter jusqu’à six et pouvait comparer des objets (« plus grand que » ; Pepperberg, 1999). Il était également capable de déterminer la quantité d’un type d’objets au sein d’un ensemble hétérogène variant selon deux paramètres : il pouvait ainsi indiquer le nombre de cubes bleus dans un ensemble constitué de sphères et de cubes bleus et rouges (Pepperberg, 1994a ; Pepperberg & Gordon, 2005 ; Pepperberg, 2006a ; Pepperberg, 2006b).
Alex était donc à même de décrire des éléments et des événements de son environnement en employant un système arbitraire de communication, à savoir des mots, et donc de communiquer de façon fonctionnellement référentielle (Pepperberg, 1999 ; Pepperberg, 2001 ; Pepperberg, 2006a).
Ce perroquet possédait également la notion de permanence de l’objet (Pepperberg & Funk, 1990). Ces différentes études ont amené à s’interroger sur les capacités cognitives des perroquets. Ces derniers présentent une divergence nette en matière d’architecture du cerveau, par rapport aux grands singes. Et pourtant, ce sont des capacités cognitives convergentes que l’on peut observer chez ces deux groupes très éloignés du point de vue de la phylogénie (Emery & Clayton, 2004a ; Emery & Clayton, 2004b).
The Alex Studies : Cognitive and Communicative Abilities of Grey Parrots
Irène Pepperberg
Harvard University Press
https://books.google.be/books/about/The_Alex_Studi…
Aujourd’hui les chercheurs admettent que même si le cerveau des oiseaux est plus petit que celui des mammifères, la zone dédiée à l’intelligence est proportionnellement la même que celle d’animaux comme le chimpanzé. Les perroquets sont classés en 3e position sur l’échelle de l’intelligence animale derrière les dauphins et les singes. Comparé à l’homme, le perroquet Alex possédait l’intelligence d’un enfant de 5 ans. Sa communication égalait celle d’un enfant de 2 ans.
Les perroquets ont une vie sociale
Les perroquets gris africains sauvages sont discrets et permettent rarement aux humains de les approcher. Aussi leur observation est-elle difficile. Ils sont très sociables et nichent au sein de grands groupes dont chaque famille occupe son propre arbre pour élever ses petits.
Matin et soir, ils se rassemblent en nombre et s’appellent bruyamment. Pendant la journée, ils se répartissent en groupes plus petits et volent sur de longues distances pour trouver à manger. Ils se reposent souvent dans les arbres au-dessus de l’eau ou sur des îles dans les rivières. Les jeunes oiseaux restent avec leurs groupes familiaux pendant plusieurs années. Ils socialisent avec d’autres perroquets de leur âge dans les arbres où ils naissent et demeurent au sein de la grande communauté. Les jeunes perroquets gris sont pris en charge par les oiseaux plus âgés jusqu’à ce qu’ils soient assez instruits et assez vieux pour devenir des membres indépendants du groupe.
Les perroquets gris africains libres doivent acquérir un ensemble de compétences complexes. Ils doivent notamment apprendre à distinguer les plantes comestibles des plantes toxiques, à défendre leur territoire, à reconnaître et éviter les prédateurs, à trouver de l’eau potable et retrouver leur famille lorsqu’ils sont séparés. En outre, ils doivent apprendre à développer des comportements sociaux appropriés telles que la défense des sites de nidification et l’éducation de la progéniture. La concurrence autour des trous de nidification pendant la saison de reproduction rend alors les individus très agressifs.
Parce que les perroquets gris africains se nourrissent partiellement au sol, ils ont mis au point diverses stratégies de sécurité pour atterrir et manger sans crainte. Des groupes de perroquets se réunissent sur un arbre stérile jusqu’à ce qu’il soit complètement couvert de centaines d’oiseaux qui lissent leurs plumes, vocalisent et socialisent. Finalement, une première vague d’oiseaux descend au sol, pendant qu’une partie du groupe reste dans l’arbre pour ne jamais être sur le terrain en même temps. Une fois sur le sol, ils se montrent extrêmement vigilants, prêts à réagir à tout mouvement ou son, tandis que les autres perroquets montent la garde du haut de l’arbre.
The African Grey Parrot Handbook
Athan, M., D. Deter, 2000, Hauppauge, NY: Barron’s Educational Series
Consulté le 20 mars 2008 :
http://books.google.com/books?id=qqrxmrS2bXQC
Les perroquets utilisent la communication référentielle
« La communication référentielle correspond à la capacité de véhiculer des informations sur des objets et/ou événements de l’environnement. De plus en plus d’études suggèrent que la communication référentielle ne serait pas restreinte à la cognition humaine mais pourrait plutôt être basée sur des compétences complémentaires avec des origines diversifiées et évolutivement plus anciennes. C’est ce qu’a prouvé Nicolas Giret avec sa thèse sur les perroquets gris du Gabon (Psittacus erithacus). Ses études montrent la capacité des perroquets à produire des vocalisations spécifiques dans certaines situations, à apprendre quelques mots de façon référentielle et à faire la distinction de quantités dénombrables et indénombrables.
Communication référentielle chez le perroquet gris du Gabon (Psittacus erithacus)Nicolas Giret, thèse de doctorat en Neurosciences, 2008, sous la direction de Dalila Bovet et de Michel Kreutzer
http://www.theses.fr/2008PA100063
Les perroquets se parlent entre eux
« Quelques espèces animales sont capables d’apprentissage vocal. Les perroquets sont bien connus pour leurs capacités d’imitation vocale. Une étude a permis d’examiner si les perroquets gris d’Afrique émettent des vocalisations spécifiques dans des contextes spécifiques.
Cette étude montre que le répertoire vocale des perroquets gris en captivité est assez différent de celui des perroquets dans la nature ce qui suggère que les populations isolées développent des appels qui leur sont spécifiques.
Après avoir répertorié une centaine de vocalises des perroquets captifs, les chercheurs ont pu en associer certaines à des émotions précises comme la colère ou la surprise. Présentés à d’autres perroquets, ces cris ne provoquaient aucune réaction. On peut en déduire que les perroquets émettent certaines catégories d’appels dans certains contextes : détresse, protestation, alarme, demande (quand un oiseau voulait obtenir quelque chose de l’expérimentateur) et des appels de contact. Ces résultats suggèrent que certains appels sont appris et peuvent être utilisés dans des contextes spécifiques. Les spécimens avaient inventé leur propre code de communication en se mettant d’accord pour associer un son à un contexte. »
Context-related vocalizations in African grey parrots (Psittacus erithacus)
Nicolas Giret & Aurélie Albert & Laurent Nagle & Michel Kreutzer & Dalila Bovet
https://www.researchgate.net/publication/251311800…
Les perroquets ont des dialectes régionaux
La relation entre l’évolution culturelle et génétique a été examinée chez l’Amazone à nuque d’or. On a déjà pu démontrer que cette espèce de perroquet utilisait des dialectes régionaux en identifiant des appels de contact de structures très différentes. En comparant l’ADN des oiseaux en fonction de leur dialecte, il apparait que les gènes et la culture ne sont pas étroitement associés chez l’Amazone à nuque jaune. Au contraire, ils suggèrent que la diversité régionale des vocalisations est due aux contraintes du milieu qui favorisent l’apprentissage social et permettent aux répertoires individuels de se conformer aux types d’appels locaux.
Notons que selon la chercheuse Dalila Bovet, le cerveau du perroquet s’est sans doute développé sous l’influence de la vie communautaire, comme celui des grands singes. À l’état sauvage, les perroquets gris du Gabon s’organisent autour d’un système de fission-fusion. Ils se rassemblent le soir pour se protéger des prédateurs, mais se séparent ou recréent de plus petits groupes le jour pour chercher de la nourriture. Cette organisation a pu contribuer au développement d’un cerveau social, car elle demande une souplesse intellectuelle et des capacités de reconnaissance individuelles et de catégorisation pour identifier la place de chaque congénère du groupe dans sa propre sphère. La monogamie de l’espèce pourrait aussi jouer un rôle dans le développement de l’intelligence pour gérer les relations du couple à long terme, ce qui — comme pour les humains — oblige à déployer parfois des trésors de patience et de négociation.
Population genetic structure and vocal dialects in an amazon parrot
Timothy F. Wright
Département de Biologie, Université du Maryland, College Park
http://citeseerx.ist.psu.edu/showciting?cid=174985…
Les perroquets donnent des ordres
Un perroquet gris d’Afrique, à qui avait déjà été enseignée la désignation vocale (vocal labeling) pour plusieurs objets, formes et couleurs, a également appris à utiliser le mot « vouloir » devant un objet désiré, et à discriminer ainsi clairement la fonction de désignation de la fonction de requête. L’utilisation de ce préfixe « want » a ensuite été généralisée par le perroquet à des situations nouvelles.
An interactive modeling technique for acquisition of communication skills: Separation of « labeling » and « requesting » in a psittacine subject
Applied Psycholinguistics, vol. 9, n° 1, mars 1988, pp. 59-76
http://journals.cambridge.org/action/displayAbstract;jsessionid=8730A2B00B0E302450E5466BB812799A.journals?fromPage=online&aid=2615000
Les perroquets savent compter
Lors d’une ultime expérience, publiée après sa mort, Alex a prouvé qu’il pouvait additionner avec précision un ensemble de chiffres arabes et en donner la somme.
Au cours de 12 essais, la question suivante lui a été posée : « Combien vaut le total ? » Alex a donné la réponse correcte neuf fois sur dix, déclarant que 3 + 4 égalent 7, 4 + 2 égalent 6, 4 + 4 égalent 8, etc.
Lorsqu’on lui a présenté successivement trois ensembles d’objets cachés sous trois tasses et qu’on lui a demandé combien faisait la somme, Alex a répondu correctement huit fois sur dix. Il a déterminé, par exemple, que un, plus deux, plus un bonbon faisaient quatre.
« Cette étude montre quatre modèles de comportement non signalés précédemment concernant la compétence numérique chez un sujet non-humain, non-primate et non mammifère. »
On peut notamment citer le fait de prendre l’initiative de compter, de pouvoir combiner des opérations, de comprendre la notion de zéro comme un humain ou un singe et enfin d’être capable d’établir des stratégies de comptage.
Further evidence for addition and numerical competence by a Grey parrot (Psittacus erithacus)
http://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10071-…
Les perroquets coopèrent entre eux
« L’une des principales caractéristiques des sociétés humaines est le degré étendu de la coopération entre les individus. La coopération est un phénomène complexe, qui est également constaté chez les primates non humains au cours des études de laboratoire et lors des observations sur le terrain dans le comportement de chasse notamment. Certains auteurs suggèrent que les pressions supposées avoir favorisé l’émergence de l’intelligence sociale chez les primates sont similaires à celles qui ont permis l’émergence de capacités cognitives complexes chez certaines espèces d’oiseaux tels que les corvidés et les psittacidés. Dans la nature, les perroquets montrent des comportements coopératifs tels que les soins biparentaux. La résolution coopérative de problèmes chez les perroquets gris d’Afrique (Psittacus erithacus) a été étudiée par le Dr Dalila Bovet. Elle s’est intéressée aux différents niveaux d’organisation comportementale entre les oiseaux, qui diffèrent par la complexité temporelle et spatiale ».
Un test déjà effectué par d’autres chercheurs sur les chimpanzés et les éléphants a démontré que deux perroquets gris du Gabon étaient capables de collaborer ensemble, en tirant simultanément sur une ficelle formant une boucle — chacun prenant une des deux extrémités de celle-ci dans son bec —, seule façon d’amener à eux un support garni de nourriture. Lors d’un autre test, l’un des perroquets devait, cette fois-ci, grimper à une perche pour libérer le support plein de nourriture, afin que son congénère puisse tirer une ficelle et ramener l’objet convoité. Le test a été couronné de succès, même en inversant les rôles respectifs.
Enfin, en proposant aux trois oiseaux impliqués dans cette recherche le choix entre une manipulation solitaire rapportant une petite récompense et une manipulation à deux rapportant davantage de nourriture, la Dre Bovet a obtenu de surprenants résultats, révélant la personnalité de chaque oiseau. Si le mâle Leo a systématiquement choisi le travail en coopération, Shango a toujours opté pour la tâche solitaire, tandis que la femelle Zoe, enfin, préférait travailler en couple lorsque le partenaire proposé était son ami Leo, et l’option solitaire lorsque c’était Shango, avec lequel elle a obstinément refusé de collaborer.
Cooperative problem solving in African grey parrots (Psittacus erithacus)
Animal Cognition, juillet 2011, vol. 14, n° 4, pp. 545-553
http://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10071-…
http://link.springer.com/article/10.1007/s10071-01…