Les macaques
Primates vivant très majoritairement en Asie, les macaques (genre Macaca) forment des groupes sociaux fascinants de complexité, dans leurs postures, interactions, expressions… et spécificités de chacune des espèces.
Primates vivant très majoritairement en Asie, les macaques (genre Macaca) forment des groupes sociaux fascinants de complexité, dans leurs postures, interactions, expressions… et spécificités de chacune des espèces.
Cerveau et intelligence
La conscience de soi révélée par le test du miroir À l’instar des humains, certains chimpanzés et orangs-outans, en se reconnaissant dans un miroir, ont prouvé qu’ils avaient conscience d’eux-mêmes. Les macaques ayant passé ce test ont toujours montré des comportements de réponse sociale comme s’ils étaient face à un congénère ; ce qui les a toujours exclus de la liste des « animaux conscients ».
Une récente étude a pu cependant démontrer qu’après un apprentissage ils parvenaient finalement à se reconnaître (1). Cette étude prouve que les singes rhésus possèdent bien la capacité cognitive de se reconnaître, sans pour autant avoir acquis la méthode pour le faire.
Les macaques sont-ils conscients d’eux-mêmes ?
Cette étude prend encore plus de sens avec la récente découverte d’une zone du cerveau propre aux émotions chez le macaque rhésus (2). C’est dans cette «insula», présente chez les humains, les grands-singes, les cétacés ou les éléphants, que se trouvent les « neurones de l’empathie ».
Une vie sociale complexe
« Fruit de plus de vingt ans d’étude de ces créatures fascinantes, l’essai de Dario Maestripieri, L’Intelligence machiavélienne, nous montre à quel point les macaques vivent au sein d’une société proche de celle des humains, avec des hiérarchies et des luttes de pouvoir incessantes qui impressionneraient Machiavel lui-même. Les macaques de statut élevé, par exemple, maintiennent leur rang grâce à l’usage habile de
la violence et de la manipulation, tandis que l’altruisme est presque inconnu et que les relations sont perpétuellement
soumises aux lois cruelles du marché. » (3)
C’est sans doute vrai pour les macaques rhésus. Il faut cependant garder à l’esprit que les sociétés macaques évoluent et se modifient au gré des lieux où les a menées leur migration, des plus compassionnelles au plus tyranniques, selon les espèces considérées.
De manière générale, le genre Macaca, ou macaque, vit en groupe d’une dizaine d’individus composé de mâles et femelles et de leur progéniture. Les femelles restent toute leur vie dans ce groupe, formant des clans apparentés. Les mâles émigrent vers d’autres groupes lorsqu’ils deviennent adultes. Mais sur les 19 espèces de macaques, on observe de grandes variations tant au niveau de la structure sociale que des comportements.
Chez le macaque rhésus, la hiérarchie est extrêmement marquée. Les mâles dominants sont très peu tolérants, intimidants, et les singes subalternes tentent constamment de montrer leur soumission. Chez les femelles, la hiérarchie matriarcale est forte et implique des contacts limités entre individus apparentés uniquement.
Aux antipodes, le macaque de Tonkéan vit en groupes peu hiérarchisés. Tous les membres du groupe peuvent interagir ensemble. Les conflits sont rares et, lorsqu’ils surviennent, des individus interviennent pour séparer les protagonistes, les apaiser et même les réconcilier ! (4)
Entre ces deux exemples opposés, il existe de nombreuses variations liées aussi à la façon dont les singes ont dû s’adapter à leur milieu de vie, à l’accès à la nourriture, ou aux prédateurs.
La « jalousie » des jeunes Tonkéan
Contrairement aux macaques rhésus, les mâles adultes Tonkéan sont très tolérants avec les plus jeunes et leur permettent d’approcher sans danger.
Il est fréquent de voir des jeunes tentant de mettre fin à un accouplement entre adultes de manière très insistante ; qui plus est si la femelle impliquée est leur mère… une façon de préserver l’exclusivité de leur relation. (5)
Culture macaques
L’histoire d’Imo est sans doute l’une des préférées des éthologues car elle a bouleversé notre perception des macaques en montrant qu’ils se transmettaient un savoir traditionnel.
Dans les années 1950, Imo était une jeune macaque du Japon
(Macaca fuscata) qui vivait avec son groupe sur la plage de l’îlot japonais de Koshima. Les éthologues qui les étudiaient avaient pris pour habitude de leur distribuer des patates douces. Un jour, Imo eut l’idée de laver sa patate pleine de sable dans l’eau de mer… Ses compagnons commencèrent rapidement à l’imiter. En quelques années, toute la colonie fit de même, les mères enseignant à leurs petits ce qui est devenu une tradition. Mais depuis, à Koshima, d’autres traditions ont fait leur apparition, comme jeter le blé dans la mer pour en retirer le sable. Dans un autre groupe, c’est un jeu qui a été inventé : les pierres sont devenues des jouets que les jeunes collectent, frottent, tapent l’une contre l’autre. (6)
Un autre exemple chez les macaques japonais concerne la baignade dans les sources chaudes.
Il s’avère que certaines populations de macaques ont imité les humains en s’immergeant l’hiver dans ces baignoires naturelles particulièrement chaudes. Depuis plus de 40 ans, les baignades sont ancrées dans leur mode de vie.
Chez d’autres groupes qui n’ont jamais assisté à des baignades, ce comportement n’a pas été observé alors qu’ils ont accès aux sources. Ils n’ont tout simplement pas appris à le faire.
Les macaques à queue longue (Macaca fascicularis aurea) des îles de Laem Son, en Thaïlande, et l’utilisation d’outils en pierre
Depuis des générations, ces macaques se servent d’outils pour ouvrir les huîtres et les noix. Les chercheurs ont observé comment des groupes de macaques choisissaient certaines pierres pour écraser les mollusques à coquille, les noix ou les crabes. À marée basse, les macaques brisent les huîtres attachées aux grands rochers. Ils détachent la moitié supérieure de la coquille du bivalve à l’aide de leur outil de percussion, puis extraient avec les doigts la chair qui demeure dans la partie encore attachée à la roche. Les chercheurs ont également constaté qu’une fois qu’un macaque avait trouvé une pierre bien adaptée à son travail, il la gardait avec lui pour ouvrir d’autres coquilles. À la fin du repas, une fois le travail accompli, les macaques jettent le plus souvent leurs outils autour des mêmes rochers où ils ont mangé. (7)
La communication gestuelle et verbale
La communication vocale et gestuelle est fondamentale dans une société aussi complexe que celle des macaques rhésus. L’expression du visage, les postures corporelles et les gestes sont autant de formes subtiles de communication non vocale et sont essentiels lors des interactions entre individus à courte distance.
Une expression faciale commune à toutes les espèces de macaques est le découvrement des dents. Chez les macaques rhésus, cette mimique sera utilisée comme signe de soumission lorsqu’un individu de rang inférieur croise un supérieur. À l’inverse, elle annonce des intentions pacifiques chez le macaque de Tonkéan.
Une autre expression faciale communément utilisée dans les interactions de dominance est la « grimace de peur » accompagnée d’un cri. Il s’agit là d’apaiser rapidement une agression ou de la réorienter. Les macaques dominants ouvrent la bouche en fixant silencieusement du regard, pour menacer les autres.
Les macaques possèdent aussi un répertoire vocal très vaste, leur permettant de communiquer entre eux et de se faire comprendre.
Certaines vocalisations sont couramment entendues lors des mouvements du groupe, pendant les interactions affiliatives, et quand un animal s’approche d’un autre pour se faire toiletter. D’autres serviront dans le contexte d’une recherche d’aliments rares, de haute qualité.
Enfin, l’alarme, sorte d’aboiement aigu et puissant, est lancée lors de situations menaçantes.
À l’instar des humains, les bébés macaques ont, pendant le sevrage, leur propre répertoire de vocalisations qui ressemblent beaucoup aux cris de colère d’un enfant humain. (8) La communication mère-enfant est d’ailleurs spécifique pendant les premières semaines de la vie du jeune macaque rhésus. La mère exagère les gestes et balance son corps afin d’attirer l’attention du nourrisson. Le ton de voix plus aigu est également noté chez la mère humaine et son nourrisson. (9)
Certains macaques japonais peuvent acquérir des accents différents selon l’endroit où ils vivent, tout comme les humains
Pendant huit ans, des scientifiques ont enregistré les sons qu’émettent les macaques japonais pour garder le contact entre eux. Les résultats montrent que les macaques vivant à des centaines de kilomètres de distance « parlent » à des fréquences différentes. « Une des caractéristiques du langage humain réside dans
sa modificabilité », a déclaré Nobuo Masataka, professeur de comportement animal à l’Institut de recherche sur les primates de l’Université de Kyoto. « Les vocalisations de singes japonais partagent cette caractéristique avec notre langage. »
La différence est probablement liée aux habitats des singes. Le groupe habitant dans une forêt où les sons sont moins facilement transmissibles, a besoin d’une fréquence plus importante pour communiquer que celui vivant sur une zone ouverte et peu végétalisée. « Cette nouvelle étude suggère que les singes du même stock génétique peuvent, d’ici quelques décennies, développer des caractéristiques d’appel différentes », a déclaré Franz De Waal. « Elle démontre une plus grande flexibilité vocale chez les primates qu’on le supposait précédemment – peut-être même la variation culturelle, comme dans les dialectes humains ». (10)
L’origine de la parole
Des chercheurs de l’université de Vienne et de Princeton se sont intéressés au mouvement rapide des lèvres (lip-smacking) fréquemment utilisé chez les singes pour communiquer.
En les filmant aux rayons X, ils se sont rendu compte que cette mimique était beaucoup plus complexe et impliquait une coordination de la mâchoire, de la langue et de l’os hyoïde. Un mécanisme très rapide et surtout très proche du fonctionnement de la parole humaine. (11)
REFERENCES
(1) L. Chang, Q. Fang, S. Zhang, M. Poo, and N. Gong (2015), « Mirror-Induced Self-Directed Behaviors in Rhesus Monkeys after Visual-Somatosensory Training ». Current Biology 25, 212-217.
(2) « Are monkeys self-aware? Scientists discover brain cells ‘linked to self-awareness and empathy in humans »,
http://www.dailymail.co.uk/sciencetech/article-214…
(3) « Macachiavellian Intelligence: How Rhesus Macaques and Humans Have Conquered the World »,
http://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chica…
(4) Petit, O. & Thierry B., (1994), « Aggressive and peaceful interventions in conflicts in Tonkean macaques ». Anim. Behav, 48 : 1427-1436.
« The Myth of Despotism and Nepotism: Dominance and Kinship in Matrilineal Societies of Macaques »,
http://link.springer.com/chapter/10.1007/978-4-431…
« The evolution of ‘egalitarian’ and ‘despotic’ social systems among macaques »,
http://link.springer.com/article/10.1007/BF0255769…
(5) Thierry B. (1986), « Affiliative interference in mounts in a group of Tonkean macaques (Macaca tonkeana) ». American Journal of
Primatology. 14, 89-97
(6) « Newly-acquired Pre-cultural Behavior of the Natural Troop of Japanese Monkeys on Koshima Islet »,
http://www.japanmonkeycentre.org/pdf/sweet-potato-…(1965)-Monkey-culture-PRIMATES.pdf
(7) « Identifying Variation in Burmese Long-Tailed Macaque (Macaca fascicularis aurea) Stone-Tool Use »,
http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.137…/journal.pone.0124733
http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.137…/journal.pone.0072872
http://phys.org/news/2016-06-macaques-tools-oyster…
(8) « Rhesus macaque Macaca mulatta Behavior »,
http://pin.primate.wisc.edu/factsheets/entry/rhesu…
(9) « Reciprocal Face-to-Face Communication between Rhesus Macaque Mothers and Their Newborn Infants »,
http://www.cell.com/current-biology/abstract/S0960…
(10) « Monkeys Have Accents, Japanese Study Finds »,
http://news.nationalgeographic.com/news/2005/12/12…
« Conservation measures for monkeys and langurs »,
http://sciencebeingjournal.com/sites/default/files…
(11) Asif A. Ghazanfar, Daniel Y. Takahashi, Neil Mathur, and W. Tecumseh Fitch (2012), « Cineradiography of Monkey Lip-Smacking Reveals
Putative Precursors of Speech Dynamics ». Current Biology 22, 1176-1182