Lucille, dauphine en exil à Port-Saint-Père
Delphinariums : en 2015, le dauphin Lucille a tué lors d’une bagarre un delphineau né à Planète Sauvage, un triste geste, adopté à cause de la captivité.
En août 2015, Lucille a tué dans une bagarre le premier delphineau né à Planète Sauvage. Ce geste terrible, qu’elle regretta aussitôt, n’est pas le fruit du hasard ou d’un soi-disant «comportement naturel». Le désespoir de Lucille le rendait prévisible.
De SeaWorld à Harderwijk
Lucille est née au SeaWorld d’Orlando le 16 avril 1989. Louise et Ralph, ses parents, avaient été capturés dans l’océan. Toute petite, Lucille est exhibée dans la Dolphin Nursery du parc, avant d’être amenée à la Dolphin Cove, où un flot continu de visiteurs peut la caresser pour 45 dollars.
Le 7 juin 1997, on décide de l’expédier en Europe. Ce départ est un déchirement, car Lucille laisse sa mère pour toujours.
Le delphinarium de Harderwijk a besoin de femelles reproductrices, et malgré son jeune âge, Lucille aura deux fils.
Le 7 avril 2015, un nouveau voyage est imposé à Lucille : on l’envoie à Planète Sauvage, dont les bassins comptent une majorité de mâles.
Ce nouveau déracinement est terrible. Lucille vient de passer dix-huit ans dans le lagon de Harderwijk. Non sans peine, l’exilée de SeaWorld a fini par trouver sa place dans la foule agitée des dauphins captifs. Elle est même parvenue à y élever ses bébés. La voici arrachée à sa famille encore une fois. Ses fils sont déjà grands bien sûr, mais ils étaient ses alliés dans le monde violent des piscines surpeuplées.
Les enfants perdus de Port-Saint-Père
Lucille débarque donc à Port-Saint-Père dans un bassin rempli d’inconnus. Des alliances s’y sont nouées dès l’ouverture très contestée du delphinarium en 2008 (voir l’
historique du combat de One Voice pour les cétacés). Il y a là les anciens du Parc Astérix, Péos, Aïcko et Galéo, ainsi qu’un juvénile impétueux tout juste arrivé de Bruges, Océan. Parel et Amtan, les deux femelles, viennent pour leur part de Harderwijk où Lucille les avait croisées. Tous sont jeunes, nés captifs, séparés de leur mère bien trop tôt et socialement acculturés. La cohésion de cette « petite famille » artificielle de quatre mâles et trois femelles confinés dans le même espace ne tient que par la contrainte des dresseurs.
Dès son arrivée, Lucille s’enfonce dans la dépression. Elle refuse de quitter son bassin de quarantaine. Son attitude inquiète One Voice, mais le delphinarium se refuse à y voir un problème.
Lorsque Parel met au monde son premier bébé, il lui faut une « marraine » pour l’aider à s’en occuper. Ce rôle essentiel dans la société dauphine suppose l’existence de liens forts entre les deux femelles adultes. Il s’agit toujours d’une relation de confiance qui s’élabore au fil d’alliances subtiles, et non d’un choix posé par l’humain.
En juin 2015, c’est à Lucille que l’on confie le soin de veiller sur la maternité de Parel — et ce trois mois seulement après son transfert, alors qu’elle s’isole et ne veut voir personne ! Et bien sûr, c’est le drame.
Juste une bagarre entre femelles
Le 8 août 2015, les spectateurs attendent le début du spectacle. Lucille, Parel et son delphineau sont enfermés dans le bassin annexe n°4. Tout à coup, une vive agitation semble s’emparer du minuscule enclos.
Sous l’œil médusé du public, les deux femelles tentent de réanimer le delphineau mort en le maintenant à la surface. La confusion est totale mais l’ordre est tout de même donné d’envoyer la musique et de lancer le show.
Discrètement, le cadavre du bébé est retiré du bassin avec une épuisette tandis que les cinq dauphins entrent en scène, très troublés, incapables de se concentrer sur les tours à exécuter…
La société des dauphins
Interrogé à propos de la dépression de Lucille, le delphinarium répondait en mai 2015 : «L’organisation sociale naturelle des dauphins consiste en des groupes très fluides avec le départ et l’arrivée permanente de nouveaux individus pour éviter la consanguinité. Nous faisons exactement la même chose. Les échanges entre parcs sont gérés à un niveau européen, par des coordinateurs par espèces (les EEP)».
En fait, les jeunes ne quittent jamais vraiment leur famille. À trois ans, ils sont sevrés et s’éloignent alors du clan familial mais y restent attachés leur vie entière par le dialecte et la culture. Les dauphines, tout particulièrement, restent longtemps au sein de leur clan pour élever leurs bébés dans des crèches collectives. Et quand les clans deviennent trop grands, ils se scindent et se multiplient dans les mêmes territoires. Car les dauphins ont des pays comme nous. Celui des parents de Lucille se situait sans doute dans les Keys en Floride.
Il est donc faux de prétendre que les dauphins partent sans se retourner à partir de trois ans. Chez les dauphins libres, une matriarche n’abandonne pas sa tribu. Ces situations ne s’observent jamais en milieu naturel, pas plus que les bagarres mortelles entre une jeune mère et la « marraine » de son bébé.
L’histoire de Lucille nous rappelle de manière dramatique que les déplacements des animaux d’un delphinarium à l’autre sont toujours synonymes d’un traumatisme grave, reconnu dès les années 1960. Ils ne reproduisent en rien les migrations naturelles ni la complexité de la société dauphine. Les transferts sont nécessaires à la survie, non pas de l’espèce, mais des delphinariums eux-mêmes.
La souffrance de Lucille est aussi celle de bien d’autres dauphins. Elle ne s’achèvera que le jour où les delphinariums renonceront à ces programmes EEP cruels et cesseront d’exploiter ces personnes animales sentientes.
Signez et diffusez notre pétition pour la fermeture des delphinariums !