Lettre ouverte concernant les orques Ibériques et leurs interactions avec les navires

Lettre ouverte concernant les orques Ibériques et leurs interactions avec les navires

Faune sauvage
27.08.2023
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Les interactions entre les orques et les navires suscitent un vif intérêt de la part du public. Des experts des cétacés publient une lettre ouverte que relaye One Voice.

Des experts des cétacés dont plusieurs sont ceux et celles auxquelles fait régulièrement appel One Voice pour solidifier ses prises de position, publient une lettre ouverte pour alerter sur l’importance de ne pas tirer de conclusion hâtive à propos des interactions des orques avec les bateaux.

Photo – CC BY-NC-ND 2.0

Les soussignés sont des experts en biologie et comportement des cétacés, dont plusieurs sont spécialistes des orques (autrement appelées « épaulards »).

Les interactions entre les orques (que nous nommerons ci-après « orques Ibériques ») et les navires le long des côtes de la péninsule ibérique (Espagne et Portugal) ainsi que dans les eaux voisines suscitent un vif intérêt de la part du public. Nous nous inquiétons du fait que des erreurs factuelles concernant ces interactions sont répétées dans les médias et agrémentées d’un récit – dépourvu de fondement scientifique ou réel – selon lequel ces animaux attaquent les bateaux avec agressivité ou cherchent à se venger des marins. Nous estimons que ce récit prête de façon inappropriée aux cétacés des motivations humaines, et craignons que sa perpétuation n’entraîne des réponses punitives de la part des marins ou des gestionnaires. Les orques ont fait montre d’un large éventail de comportements au cours des interactions, dont beaucoup correspondent à un comportement social ludique.

Par conséquent, nous tenons à clarifier les faits sur la base des preuves scientifiques disponibles. La plupart de ces informations proviennent d’un article évalué par des pairs publié dans Marine Mammal Science en 2022 par plusieurs signataires de la présente lettre.

Les orques Ibériques sont classées sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) comme étant en danger critique d’extinction. Leur population compte probablement moins de quarante individus. Ces orques représentent une sous-population géographiquement isolée et génétiquement distincte, qui se nourrit principalement de thon rouge.

Ces interactions perturbatrices avec les navires ont véritablement débuté en juillet 2020. À ce jour, au moins onze juvéniles et quatre femelles adultes ont été identifiés comme y participant ou les observant. Il n’existe aucune preuve de l’existence d’un « leader » reconnaissable qui serait à la tête de ces interférences. Les chercheurs ont donné à ces quinze orques l’identifiant latin Gladis et un nom individuel : par exemple Gladis Blanca ou Gladis Negra (respectivement White Gladis et Black Gladis en anglais / Gladis Blanche et Gladis Noire en français). On a découvert que la femelle juvénile Gladis Negra – initialement signalée comme ayant interagi avec des bateaux – portait une lacération à la tête au printemps 2020 et une blessure derrière la nageoire dorsale plus tard en 2021. Les deux blessures restent d’origine inconnue.

La nature des interactions se répartit comme suit : absence de contact avec le navire, contact léger ou modéré sans ou avec dommages mineurs au navire, contact important avec dommages graves (empêchant la navigation). Depuis le printemps 2021, au moins cinq navires endommagés ont coulé. Les dommages graves se sont produits dans seulement 20 % des interactions.

Malgré les dégâts causés aux navires, nous estimons qu’il est faux de qualifier ces interactions d’« attaques ». Si à certains endroits les bateaux présentent – rarement – des marques de dents, les dommages prédominants aux gouvernails et aux quilles sont dus à des heurts ou à des coups de bélier de la tête ou du corps. Les orques ne démolissent pas les gouvernails comme elles le feraient si elles chassaient. Même si leur comportement peut faire peur (et coûter de l’argent) du point de vue humain, du point de vue des orques, il apparaît plutôt récréatif.

Les orques, tout comme d’autres espèces de dauphins, sont connues par ailleurs pour lancer des « modes » culturelles – c’est-à-dire de nouveaux comportements qui durent brièvement dans le temps et se développent au sein d’une population donnée, comme le fait de porter des poissons morts sur la tête, et qu’on pourrait comparer à nos « tendances » vestimentaires. Bien que les interactions avec les navires puissent représenter un phénomène similaire, elles persistent plus longtemps qu’un comportement à la mode type, se propagent au sein de la population et ont un impact de plus en plus important. Néanmoins, il est possible qu’à l’instar des modes précédentes, ce comportement disparaisse aussi soudainement qu’il est apparu.

Nous exhortons les médias et le public à ne plus construire de récits projectifs autour de ces animaux. En l’absence de preuves supplémentaires, les gens ne doivent pas présumer comprendre leurs motivations. L’orque est une espèce intelligente et socialement complexe. Chaque population a sa propre culture qui comprend diverses vocalisations (appelées dialectes), des préférences en matière de proies, des techniques de chasse, voire différentes structures sociales et comportements migratoires. Les orques Ibériques présentent un comportement qui, parmi les cétacés, ne s’était jamais vu avec une telle régularité. Même au temps de la chasse industrielle sur des vaisseaux en bois, alors que des baleines bien plus grosses avaient la réputation de fracasser ou d’endommager des navires, de tels incidents étaient relativement rares. La science ne peut pas encore expliquer pourquoi les orques Ibériques agissent ainsi, même si nous répétons qu’un tel comportement est plus probablement lié au jeu et à la socialisation qu’à l’agressivité. Il est infondé et potentiellement dangereux pour ces animaux de prétendre qu’il s’agit d’une vengeance pour des torts passés ou de tisser quelque autre histoire mélodramatique.

Lorsque nous sommes en mer, nous sommes au royaume de la vie marine. Nous n’avons pas le droit de punir la faune du fait d’être sauvage. Nous devons garder la tête froide lorsque les animaux présentent un comportement inédit, et devons redoubler d’efforts pour adapter nos propres actions et comportements à leur présence. La survie des espèces avec qui nous partageons cette planète en dépend.

Signataires :

  • Dre Naomi A. Rose, Directrice scientifique, Institut de biologie des mammifères marins et du bien-être animal, États-Unis
  • Dr Robin W. Baird, Directeur du programme Hawaii, Collectif de recherche Cascadia, États-Unis
  • Dr Giovanni Bearzi, Président, Biologie et conservation des dauphins, Italie
  • Dre Maddalena Bearzi, Présidente, Société de conservation des océans des États-Unis, États-Unis
  • Dr Jaime Bolaños, Directeur exécutif, Caribbean-Wide Orca Project (CWOP), coordinateur Sea Vida (Venezuela), Venezuela
  • Dre Inês Carvalho, Groupe de génétique des populations et de la conservation, Instituto Gulbenkian Ciência, Portugal
  • Dr Mel Cosentino, Chercheur en mammifères marins, Université d’Aarhus, Danemark
  • Dr Volker Deecke, Professeur de conservation de la faune, Université de Cumbria, Royaume-Uni
  • Dre Rocío Espada-Ruiz, Université de Séville, Ecolocaliza, GTOA (Grupo de Trabajo Orca Atlántica/Atlantic Orca Working Group), Espagne
  • Dre Ruth Esteban, Musée des Baleines de Madère GTOA, Portugal
  • Dre Andrew Foote, Chercheur doctorant, Centre de synthèse écologique et évolutive, Université d’Oslo, Norvège
  • Dr Tilen Genov, Morigenos – Société slovène des mammifères marins, Groupe de spécialistes des cétacés de l’UICN, Slovénie
  • Dre Déborah Giles, Directrice scientifique et de recherche Wild Orca, États-Unis
  • Dr Christophe Guinet, Directeur de recherche, CNRS, Centre d’Études Biologiques de Chizé, France
  • Dr Erich Hoyt, Chercheur, conservation des baleines et des dauphins, Coprésident du Groupe de travail sur les zones protégées des mammifères marins de l’UICN SSC-WCPA, Royaume-Uni
  • Dre Ève Jourdain, Directrice de thèse et chercheuse, Norwegian Orca Survey, Norvège
  • Dr Alfredo López Fernández, Université d’Aveiro, CESAM CEMMA, GTOA, Portugal
  • Dr Eduardo Morteo Ortiz, Directeur de thèse, Laboratorio de Mamíferos Marinos de la Universidad Veracruzana (LabMMar-IIB-ICIMAP-UV), Mexique
  • Dr Giuseppe Notarbartolo di Sciara, Président d’honneur, Institut de recherche Tethys, Italie
  • Dre Laetitia Nunny, Responsable scientifique, MSc OceanCare, Espagne
  • Dre Liliana Olaya-Ponzone, Université de Séville GTOA, Espagne
  • Dr Christian D. Ortega Ortiz, Professeur de doctorat, Université de Colima, Mexique
  • Dr E. C. M. Parsons, Professeur agrégé, Centre pour la conservation et l’écologie, Université d’Exeter, Royaume-Uni
  • Dr Héctor Pérez Puig, MSc, Coordinateur du programme des mammifères marins, Centro de Estudios Culturales y Ecológicos Prescott, A.C. Mexique, Mexique
  • Dr Randall Reeves, Titulaire de la chaire de doctorat, Groupe de spécialistes des cétacés de la SSC de l’UICN, Canada
  • Dre Filipa Samarra, Spécialiste de recherche, Université d’Islande, Islande
  • Dre Marina Séqueira, Institut pour la conservation de la nature et des forêts GTOA, Portugal
  • Dre Tiu Similä, Responsable scientifique, Whale2Sea, Norvège
  • Dr Mark Peter Simmonds, Directeur scientifique de l’OBE OceanCare, Royaume-Uni
  • Dre Courtney E. Smith, Faculté affiliée, Département des sciences et politiques environnementales, Université George Mason, États-Unis
  • Dr Paul Tixier, Chercheur, écologie des mammifères marins et leurs interactions avec les activités humaines Institut National de Recherche pour le Développement Durable, IRD MARBEC, France
  • Dr Jared Towers, Directeur exécutif, Bay Cetology, Canada
  • Dre Lindy Weilgart, Experte principale en bruit océanique et consultante en politiques OceanCare Adjunct, Département de biologie, Université Dalhousie, Canada
  • Dr Hal Whitehead, Professeur de doctorat, Université Dalhousie, Canada
  • Dr Alex Zerbini, Directeur scientifique, Institut coopératif d’études sur le climat, les océans et les écosystèmes, Université de Washington, États-Unis
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