Les rats « mélomanes » : ce qu’ont oublié les médias
Les rats remuent la tête en rythme avec la musique. Mais pourquoi ne parle-t-on pas de la manière dont l’équipe japonaise a obtenu ces résultats et des souffrances endurées par les rats dans ce but ?
Mi-novembre, de nombreux journaux ont rapporté une expérience japonaise montrant que les rats synchronisent leurs mouvements de tête avec une pulsation musicale. Mais tous ont oublié de parler des souffrances endurées par les rats pour cette expérience, entre les appareils vissés à leur crâne, la privation d’eau, la chirurgie du cerveau et la mise à mort.
Edit du 1 décembre 2022 à 18h
Suite à notre courrier, la responsable éditorial web de Radio Classique nous a remercié de notre signalement et a ajouté notre perspective en conclusion de l’article. Nous la remercions vivement pour cette prise en compte des souffrances de ces rats.
De la rubrique « Insolite » de Radio Classique à l’affirmation que « cette expérience [peut] sembler mignonne et sans importance » sur un blog privé, en passant par l’insertion de l’image d’un rat jouant du saxophone chez Futura-Sciences et la Dépêche et par l’idée qu’ « en plus d’avoir le sens du rythme, les rats ont aussi du goût » dans le Huffington Post, on aurait pu croire que les rats s’étaient bien amusés à écouter Mozart ou Queen.
Un fossé entre les communiqués de presse et la réalité
Mais, comme l’a rapidement fait remarquer sur Twitter Sébastien Moro (Cervelle d’Oiseau), vulgarisateur en éthologie, lire l’étude originale fait très vite déchanter.
D’abord, aucun article ne mentionne qu’il s’agissait de 23 rats âgés de neuf à dix semaines, ni que la publication de l’équipe japonaise a oublié de préciser le sexe de ces animaux – une précision importante, ne serait-ce que pour éviter les biais méthodologiques et les problèmes de reproductibilité des expériences.
Aucune mention des souffrances
Les articles qui parlent de l’accéléromètre fixé à la tête de dix rats n’explicitent pas le fait que la boite fabriquée pour maintenir l’appareil en place a été vissée sur le crâne des rats après y avoir percé des trous, puis renforcée avec du ciment.
De plus, aucun article n’explique que les rats ont été privés d’eau afin de les motiver à se tenir sur deux pattes pour atteindre un biberon maintenu en hauteur, de manière à mieux observer leurs mouvements de tête. Cette « motivation » a été développée pendant plusieurs jours au cours de sessions répétées de trente minutes, jusqu’à ce qu’ils apprennent à se mettre immédiatement debout en entrant dans la boite de mesure.
L’expérience en trop
Pire : même dans l’article de TrustMyScience, qui parle un peu plus que les autres des hypothèses et de la méthodologie de l’étude, on ne trouve aucune mention de l’expérience d’électrophysiologie qui a suivi, au cours de laquelle les treize rats restants ont subi une chirurgie du cerveau sous anesthésie pour leur implanter des électrodes à travers le crâne et léser un de leurs deux tympans, dans le but d’analyser l’activité du cortex auditif.
Et personne n’a tenu à rappeler que tous les rats ont été tués à la suite des expériences.
Une situation inacceptable aujourd’hui
Évidemment, ayant éludé tous les aspects potentiellement controversés de la médiatisation, la discussion éthique n’est apparue nulle part dans les médias. Les spécialistes de l’éthique animale existent pourtant (on pense notamment aux signataires de la récente Déclaration de Montréal).
Quoi qu’il en soit, il ne semble pas acceptable aujourd’hui de qualifier d’ « insolite » ou de « mignonne » une étude qui implique de faire souffrir des animaux et de les tuer pour servir nos propres intérêts.
One Voice a écrit à la rédaction des médias concernés ainsi qu’à l’Agence France Presse (AFP) pour signaler cette situation, et nous attendons une réponse.