Les mustangs americains, derniers chevaux libres
Des chevaux soumis, dressés, domestiqués nous entourent. En eux vibre l'âme des derniers chevaux libres. Revenus à l'état sauvage, ils doivent être protégés.
Des chevaux soumis, dressés, domestiqués nous entourent. En chacun d’eux vibre pourtant l’âme profonde des derniers chevaux libres, les Mustangs sauvages de l’Ouest américain. Ce peuple fier, revenu à l’état sauvage, doit être protégé.
La peur
La peur éclaire d’un coup ses grands yeux noirs et parcourt la surface de son corps de longs frissons nerveux qui font frémir ses flancs lustrés. À l’est, le feulement lointain d’un puma en chasse vient de résonner dans la nuit. Le vent n’a pas encore porté leur odeur jusqu’à ses narines, mais il peut tourner, ce n’est qu’une question d’heures.
La plus ancienne parmi les juments s’ébroue. Elle relève la tête, hennit en secouant sa crinière puis se met en marche. Il faut quitter très vite les pâturages. Tous la suivent au petit trot, car ils savent que la peur fait naître en elle les choix justes. Pour les Mustangs, la vie, c’est la fuite. La peur, c’est la sagesse. Et la jument la porte en elle.
La petite troupe monte jusqu’au plateau
Le vent y souffle fort, l’herbe y est plus rare. Dominées par les pics enneigés des Rocheuses, les vallées du Montana s’étalent au loin tout autour d’eux, creusées de rivières, de canyons et de lacs, couvertes de bois et de prairies. Se dessinant en silhouettes sur le soleil couchant, plusieurs mâles suivent la harde à distance. Ce sont des adolescents chassés de leur groupe, qui parcourent la plaine en bande à la recherche de juments à séduire et de troupes à fonder.
Le superbe étalon à la robe blanche pommelée de noir qui protège la harde ne l’entend pas ainsi. Sous le regard passionné des femelles, il s’approche de son premier rival, un jeune alezan orgueilleux et le toise, poitrine contre poitrine. Côte à côte, les deux mâles se lancent dans une sorte de danse très étudiée, soulevant la poussière du sol à grands coups de sabots et se dressant face à face sur leurs pattes arrière. Le grand étalon pommelé l’emporte sans se battre ni mordre, tandis que le jeune s’enfuit au galop avec ses compagnons d’infortune.
Il y a longtemps, ces chevaux bigarrés sont arrivés d’Europe, dans les cales des Conquistadors
Certains se sont échappés et sont redevenus sauvages. Les Cheyennes et les Sioux les capturèrent ensuite et leur vouèrent un grand respect. Après le massacre des nations indiennes, des chevaux furent libres à nouveau et quelques-uns d’entre eux le sont encore aujourd’hui. Il n’a pas fallu longtemps pour que tout vernis humain s’efface de leur esprit et que leurs mœurs anciennes leur reviennent du fond des âges. Au fil des unions librement décidées, leurs robes ont revêtu toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et leurs corps se sont faits petits, costauds et rapides au contact de la vie sauvage. Leur pelage est plus dru, pour contrer les hivers féroces du nord-ouest des États-Unis.
La tête penchée vers l’herbe mais les oreilles dressées, six juments adultes paissent aux côtés de l’étalon qui revient et se calme. À elles de réfléchir, de prendre soin des jeunes et de veiller à la bonne gestion de la vie quotidienne. La plus âgée se charge de décider des départs et des moments de repos. Sur ce point, tout le monde lui fait confiance, l’étalon comme les autres.
Cette nuit, chacun dormira debout dans le champ de graminées sauvages. Le puma s’est éloigné mais la menace demeure et il faut rester prêt. Demain, lorsque le soleil se lèvera à nouveau, la petite harde de Mustangs se remettra en route vers d’autres collines, d’autres points d’eaux, d’autres pâturages tendres et savoureux.
Ce monde de vigilance extrême, commun aux herbivores, est cependant un monde heureux. Qu’elles sont paisibles, les journées où l’on broute rêveusement les pentes d’une verte colline, tandis que les guetteurs veillent ! Qu’ils sont doux, ces moments d’amour où le poulain de l’année vient pousser son museau contre la mamelle pour engloutir le bon lait !
C’est un peuple paisible, sans frontières, sans territoire, que celui des chevaux sauvages
Sans cesse, ils vont où les saisons les mènent.
Mais aujourd’hui, rares sont les lieux où ils peuvent encore vivre sans mors, ni selle, ni licol, ni longes, ni rênes. Partout où ils subsistent, on les chasse, on les tue, on les mange, on les capture et on les dresse. Il ne reste de par le monde que les mustangs aux États-Unis, les brumbies en Australie, que l’on abat depuis des hélicoptères, et quelques hardes à demi sauvages en Camargue. Avec le cheval de Przewalski et le Tarpan génétiquement reconstitué, ce sont les derniers chevaux libres de notre planète.
Les seuls en qui nous puissions encore lire l’âme profonde de nos chevaux esclaves…