Le nom du monde est forêt*
La destruction des forêts primaires provoque une aggravation du changement climatique, ainsi meurent des espèces rares et des cultures subtiles dont nous ne saurons rien.
La destruction des forêts primaires provoque une aggravation du changement climatique. Avec elles meurent des espèces rares et des cultures subtiles, humaines ou non-humaines, dont nous ne saurons jamais rien.
La scie entaille l’écorce du gigantesque dipterocarp. Tout là-haut, une mère orang-outan et son petit s’accrochent aux ultimes branches de la canopée, comme pour fuir vers le ciel. Mais l’arbre est tronçonné sur toute sa largeur. Lentement, majestueusement, inexorablement, son tronc haut de quatre-vingts mètres vacille, s’incline puis s’effondre dans un tonnerre de bois brisé, de lianes arrachées, de cris rauques et d’envols de calaos apeurés. En tombant, le géant emporte dans la mort mille nids, mille vies, mille petites tanières cachées dans les replis de son écorce. Il en écrase mille autres sous sa masse énorme. Lui-même est un être vivant, conscient de ce qui l’entoure à la manière des plantes. Et tandis qu’on décroche le petit singe roux du corps brisé de sa mère, l’arbre couché perd sa sève comme du sang. On l’entraîne bientôt sur les chemins de boue, griffés par les camions dans la chair de son monde : la forêt pluviale de Sumatra.
Partout, la scène se répète. Dans le bassin du Congo ou de l’Amazone, en Thaïlande, au Cambodge, en Indonésie, au Canada, partout, les forêts disparaissent sous le rouleau compresseur de la folie humaine. Des barrages monstrueux les engloutissent, des villes tentaculaires les dévorent peu à peu, des élevages de bovins les achèvent. Les arbres géants sont abattus pour l’industrie du bois précieux. Des incendies sont allumés pour faire place aux plantations de palmiers à huile. Des mines de coltan excavent la terre jusqu’aux dernières racines au cœur des parcs nationaux congolais. Leurs travailleurs mangent de la viande de brousse et tuent les gorilles.
Aucun compte n’est jamais tenu des habitants de cet océan d’arbres qu’on ravage.
Les forêts tropicales sont pourtant l’écrin de la plus merveilleuse biodiversité au monde, grenouilles arboricoles, insectes inouïs, plantes médicinales inconnues et cultures nonhumaines subtiles. La forêt abrite également des peuples humains qui exploitent ses ressources avec respect depuis des millénaires. En symbiose avec elle, ils la vénèrent et la protègent. Mais la magie de leurs chamans ne peut rien face aux chercheurs d’or armés jusqu’aux dents, aux bulldozers et aux militaires qui les expulsent de leurs terres ancestrales et réduisent à néant leurs traditions.
Chaque année, plus de treize millions d’hectares de forêts disparaissent, soit l’équivalent de la surface de l’ Angleterre ou de quarante terrains de football chaque minute. Ce biotope est pourtant essentiel à la stabilité du climat et à la conservation des sols. Sa destruction augmente encore la quantité de CO2 dans l’atmosphère, et avec elle, le changement climatique et son cortège d’inondations, de sécheresses et de glissements de terrains.
Autrefois, nous vivions avec la forêt. Elle a cerné nos hameaux jusqu’à la fin du Moyen-Âge. D’immenses étendues de chênes couvraient alors la France entière. Les ours, les loups, les lynx y prospéraient en paix, régulant avec harmonie la nature autour d’eux. Aujourd’hui, tout est rasé ou presque. Des champs, des autoroutes, des villes, des parkings à l’infini ont recouvert depuis longtemps les futaies et les bois, qui n’occupent plus qu’une faible surface du continent européen. Nous avons oublié la majesté des arbres, nous avons perdu le secret du dialogue avec eux. Et aujourd’hui déjà, nous commençons à le payer cher. Les forêts sont un trésor de l’évolution : aidez-nous à les protéger !