Le gorille et l'enfant
Lorsque Harambé a vu tomber le garçonnet dans le fossé de son enclos, il s’en est approché aussitôt. Un enfant humain ou un enfant gorille, pour lui, c’était pareil
Lorsque Harambé a vu tomber le garçonnet dans le fossé de son enclos au Zoo de Cincinnati, il s’en est approché aussitôt. Un enfant humain ou un enfant gorille, pour lui, c’était presque pareil, ils se ressemblent tant ! Le jeune gorille n’était pas encore père lui-même mais s’est inquiété du petit humain comme il l’aurait fait de l’un des siens. Il s’est assuré que le bambin vivait toujours puis l’a protégé de son grand corps sombre et puissant.
C’est alors que les cris ont commencé, les hurlements stridents, les « Oh my God ! » et la foule hystérique massée sur le parapet qui les regardait tous deux en jetant des objets.
Surpris, le gorille a traîné l’enfant dans l’eau un peu plus loin, avec la force qui est la sienne. Puis ils se sont arrêtés de nouveau, non loin de la cascade. Le gorille a pris la main du garçon dans la sienne. Il l’a remis debout, lui a même remonté sa culotte et réajusté son T-shirt. Le gorille a regardé longtemps l’enfant dans les yeux. Et puis d’un coup, sans prévenir, une balle lui a explosé le crâne. Le bel Harambé est mort à 17 ans, au lendemain de son anniversaire.
On aurait pu le distraire avec des friandises ou l’éloigner avec une lance à eau. On aurait pu évacuer la foule, calmer le grand singe, lui parler doucement. Franz De Waal et d’autres spécialistes du comportement des primates l’ont répété ces jours-ci : à aucun moment, Harambé n’a montré le moindre signe d’agressivité, seulement de l’inquiétude à l’égard du public.
Mais ce n’était qu’un singe, après tout, dont la vie ne vaudra jamais celle d’un humain. Plutôt que de prendre le moindre risque, on a préféré régler le problème avec des armes.
Pour le Zoo de l’Ohio, qui avait acquis cet étalon en 2015 au Gladys Porter Zoo, Harambé n’était qu’un réservoir de gènes précieux. L’absurde logique eugénique des programmes de reproduction veut que l’espèce prévale toujours sur l’individu. Aussi a-t-on prélevé aussitôt le sperme de son cadavre pour le réfrigérer et l’injecter le jour venu à une femelle soigneusement choisie. C’est que les naissances au zoo sont aussi très lucratives.
Pourtant, quel que soit le nombre de gorilles des plaines de l’Ouest que l’on pourra élever en batterie, ceux-ci ne sauveront jamais l’espèce elle-même. Aucun de ces grands singes nés parmi les humains ne serait capable de retourner au pays de ses ancêtres et d’y survivre. Les gorilles sont des êtres de culture, des personnes paisibles, intelligentes et végétariennes qui ont évolué au sein de la forêt primaire depuis des millénaires. Ils se transmettent leurs connaissances de génération en génération et nul humain ne saurait les leur enseigner.
La véritable urgence, ce n’est donc pas de multiplier, en fonction des besoins de l’industrie du loisir, de petits groupes de gorilles de spectacle, que l’on ira voir en famille en mangeant du pop-corn et moyennant finance. La véritable urgence, c’est de sauver au plus vite, tant qu’on le peut encore et avec des moyens sérieux et importants, l’habitat de ces grands singes, tels la réserve de Dzanga Sangha ou les Monts Virunga. Sans la forêt, les gorilles ne sont plus des gorilles mais des monstres de foire, de pitoyables King Kong de pacotille devant qui la foule aime frémir à distance.
Harambé n’était pas King Kong. Ce n’était qu’un jeune prisonnier né captif dans un univers confiné où il n’avait absolument rien à faire, au propre comme au figuré. Que restera-t-il de cette tragédie ? Une querelle vaine sur la responsabilité des parents, un grand chagrin chez les gorilles de Gorilla World, mais pas encore, hélas, une mise en cause radicale de ce qui a vraiment tué Harambé : les zoos. C’est un
zoo
qui l’a fait naître, c’est un autre qui l’a tué, avec le même souci productiviste que l’on accorde aux malheureux poulets d’élevage.
Repose en paix, Harambé. Nous mettrons tout en œuvre pour qu’en France et ailleurs dans le monde, de tels drames cessent un jour d’exister.