La marche de Raspoutine, l'ours polaire
Raspoutine marche le long de la clôture. Au départ, toujours de la même manière, il bascule la tête dans un mouvement tournant, puis poursuit son chemin jusqu’au mur de l’enclos. Il répète le même geste et repart dans l’autre sens, et encore, et encore, jusqu’à ce qu’il s’épuise.
Raspoutine souffre de stéréotypie. Ce rituel compulsif, très fréquent dans les zoos, se manifeste chez un animal lorsque celui-ci ne parvient pas à satisfaire ses besoins comportementaux
normaux au sein d’un environnement anormal. Avec ses températures estivales frisant les 40°C, la ville d’Antibes, sur la Côte d’Azur, n’est pas vraiment l’endroit idéal pour accueillir des ours polaires.
Bien sûr, le Marineland a dépensé 3,5 millions d’euros dans l’aménagement de leur enclos : bassins d’eau de mer et d’eau douce, plantes de prairie simulant la toundra, cascades, rocailles, abris ombragés et pour couronner le tout, deux grottes réfrigérées avec lit de glace. La classe !
Sauf que, malheureusement, Raspoutine ne la voit même pas, sa toundra méditerranéenne. Il n’a aucune envie de rester couché toute la journée dans un frigidaire ni de se trémousser dans une piscine exiguë, où les humains collent leurs faces aux vitres. Ce que ses gènes d’ours polaire veulent, ce que son corps de colosse exige, ce que ses griffes, ses crocs, ses pattes énormes faites pour fouler la neige et nager sous la glace désirent plus que tout au monde, c’est la banquise, l’océan, les phoques, d’immenses étendues blanches où marcher jusqu’à l’épuisement, loin de cette odeur de kermesse et de ce bruit incessant, loin de cette clôture métallique, de cet enclos étouffant.
Raspoutine est né au zoo de Moscou. Il a rejoint la petite Flocke à Nuremberg en 2008, puis le couple a été expédié au Marineland d’Antibes en avril 2010.
Pourquoi les avoir fait venir ? Pourquoi investir tant d’argent dans cette nouvelle attraction ?
À cause de Knut, sans doute, et de la « Knutmania ». Lorsqu’en 2007 l’ourson mignon naquit au zoo de Berlin, il s’attira un incroyable succès populaire. Knut était partout : à la télévision, dans les livres, les blogs, les chansons. On en fit même des jouets, des sonneries de téléphone et des bonbons ! Le zoo se réjouissait fort de cette folie médiatique : ses actions à la Bourse de Berlin doublèrent en une semaine.
La même année, Flocon-Flocke voyait le jour au zoo de Nuremberg. Rapidement enlevée à Véra, sa mère, qui la jetait contre les rochers, on tenta aussitôt d’en faire une « Mme Knut ». Son nom devint une marque déposée. Son image fut déclinée sur tous les supports, mais le succès ne fut pas au rendez-vous. Et une association écologique traîna le zoo en justice, au motif que la surexploitation de Flocke nuisait à son bien-être. De toute façon, quand les oursons grandissent, le public ne s’intéresse plus à eux. On expédia donc Flocke et Raspoutine à Antibes. La petite Hope naquit en 2011, mais il n’y eut pas vraiment de « Hopemania » en France.
Le Marineland affirme aujourd’hui que « la reproduction et la préservation des ours polaires est un enjeu essentiel pour le Parc. Ils sont les ambassadeurs d’une espèce très menacée par le réchauffement climatique mondial qui impacte leur écosystème ». En fait, quelque 330 ours polaires survivent dans 120 zoos dans le monde. Aucun d’eux ne sera jamais relâché, ni aucun de leurs petits. Ceux-ci n’aideront donc pas à la préservation de l’espèce. La seule solution pour sauver les ours blancs, c’est de limiter la chasse sportive et de protéger leurs territoires, plutôt que d’y chercher du pétrole. C’est de renoncer aux énergies fossiles, plutôt que de construire des grottes réfrigérées génératrices de gaz à effet de serre. Car de toute façon, quoi qu’on fasse, jamais les ours polaires ne seront heureux au zoo. Leur vie y est à l’image de la marche de Raspoutine : totalement privée de sens et désespérée.
One Voice prépare actuellement un dépôt de plainte. Le préfet va être sollicité pour une saisie conservatoire de Raspoutine en urgence.