Entretien avec Albert Lopez
Entretien avec Albert Lopez, l’ex-dresseur de l’orque Ulysse et des dauphins du zoo de Barcelone et du delphinarium do Oltremare : les révélations.
Décembre 2014. Albert Lopez, l’ex-dresseur de l’orque Ulysse et des dauphins du zoo de Barcelone et du delphinarium de Oltremare, dévoile à Muriel Arnal les coulisses de ces centres de détention et d’esclavage…
Muriel Arnal : Un jour, tu as décidé de « traverser le miroir » et d’arrêter ton activité de dresseur. C’est particulièrement courageux et ton témoignage est essentiel pour soutenir notre combat. Je te remercie profondément de dévoiler ce qui peut se passer dans les coulisses de ces centres. Ce que tu sais d’Ulysse est éminemment significatif à cet égard…
Albert Lopez : Oui, je me souviens, Ulysse est resté seul dans le bassin du zoo avec un dauphin, pendant 12 ans. J’étais seul moi aussi. Car j’étais jeune et les autres employés du zoo n’aimaient pas les animaux. C’est pourquoi nous avons tissé des liens. La première année où Ulysse est arrivé, il a été gravement blessé par les dauphins. Un dauphin mâle l’a battu et mordu si grièvement qu’Ulysse était mourant. Il restait prostré, sans manger, en grande souffrance. Chaque jour, j’allais dans l’eau, à ses côtés, pour le soigner. C’est ainsi que nous sommes devenus amis, nous le sommes restés pendant toute sa détention à Barcelone.
M.A. : Pourquoi ce dauphin a-t-il attaqué Ulysse ? Un dauphin ne se comporte pas comme cela dans la nature. Est-ce la promiscuité ? Le stress de la captivité ?
A.L. : Ces attaques étaient compréhensibles car quand l’orque est arrivée dans le bassin, les dauphins qui y étaient détenus ont eu très peur. Le dauphin mâle a battu Ulysse et lui a fait très mal. Après, Ulysse n’est resté qu’avec les dauphins femelles mais elles étaient toujours sur leurs gardes avec lui. L’une d’elles a eu un petit, prénommé Inuk. Elle est devenue plus agressive encore avec Ulysse parce qu’elle avait peur, elle surveillait continuellement Inuk. Quand Ulysse et Inuk jouaient et qu’Inuk se faisait un peu mal, il retournait voir sa mère et celle-ci mordait Ulysse. Inuk est le premier dauphin né au zoo et qui ait survécu plus de deux ans ; les autres ne survivaient pas car leurs mères ne savaient pas leur apprendre à manger. Inuk, lui, a été éduqué par Ulysse qui s’est occupé de lui et lui a appris à manger le poisson. Ulysse était très petit quand il est arrivé, il a grandi avec les dauphins, il n’avait pas conscience qu’il était une orque. Il pensait qu’il était dauphin. Les années suivantes, il est resté avec une dauphine nommée Nereida. Ils ont tissé des liens mais c’est Nereida qui décidait. Pendant toute sa détention, Ulysse n’a jamais fait aucun mal aux dauphins. Il était très doux. Chaque matin, il m’attendait. J’allais directement le voir, lui parler, jouer avec lui.
M.A. : Ta relation avec Ulysse est constituée, me semble-t-il, de moments cruciaux…
A.L. : Ulysse m’a sauvé la vie à deux reprises. Un jour, je réparais un équipement au fond du bassin. Je n’avais pas pris de palmes, pour être plus à l’aise pour travailler. Et je m’étais lesté avec trop de poids. Quand ma bouteille a été vide, je n’ai pu remonter à la surface. À ce moment-là, Ulysse est venu se placer à côté de moi, m’a présenté sa nageoire dorsale que j’ai attrapée. Et il m’a remonté à la surface. C’est la première fois qu’il adoptait un tel comportement. Quelques jours plus tard, j’ai dû retourner poursuivre les réparations. J’avais mis des palmes et moins de poids pour me lester. Au moment où je descendais au fond du bassin, Ulysse m’a mordu tout doucement la cuisse, à deux reprises. Je n’ai pas compris immédiatement pourquoi. Un collègue m’a alors dit, il fait cela pour t’avertir du danger et te demander de ne pas prendre ce risque. Alors j’ai posé tout mon matériel, et je suis allé dans l’eau, en maillot de bain, et nous avons joué. Ulysse était rassuré. Après cet épisode, Ulysse n’a jamais plus supporté que je porte des palmes ou même un masque. Il venait systématiquement m’ôter mon masque avec sa gueule. Il tolérait juste le maillot de bain, rien d’autre. Chaque jour, après le spectacle, je restais jouer avec Ulysse. C’était en dehors de mon travail, je ne lui donnais pas de nourriture comme pendant le spectacle. Il n’y avait alors ni dressage ni aucune soumission. Il était libre de jouer s’il en avait envie. Et s’il ne voulait pas, il l’exprimait. Mais il avait toujours envie qu’on joue ensemble !
M.A. : Penses-tu qu’Ulysse continue à jouer avec des humains là où il est aujourd’hui ?
A.L. : Non, à SeaWorld, jouer avec les orques sans les soumettre par la nourriture, est absolument interdit. D’ailleurs, il est à présent interdit d’aller dans l’eau avec elles car certaines orques sont dans de telles souffrances qu’elles ont perdu la raison et tué leur dresseur.
M.A. : Toutes les personnes humaines qui ont tissé une relation avec des personnes cétacées en reste profondément marquées à vie…
A.L. : Oui, cette relation était très forte, trop forte. Comme la relation d’amour qu’on peut avoir avec un animal. Ulysse était mon ami. Je pensais à lui à chaque instant, car, à la différence d’un chien, nous ne pouvions être ensemble. Moi, j’étais au zoo sept heures chaque jour, mais le reste de la journée Ulysse était seul. Moi, j’avais une vie dehors, lui restait seul avec Nereida, sans rien faire, sans pouvoir nager ou bouger librement, enfermé dans ce bassin de béton, dans cette eau trop chlorée et acide, qui lui brûlait la peau et les yeux.
M.A. : Ce que tu dis me fait penser à un chien ou un chat qu’on laisse seul dans sa cage le jour, la nuit, le week-end, les vacances, isolé et malheureux…
A.L. : Oui tout à fait, c’est comme ça pour les chiens « de travail », les chiens sont enfermés dans les cages toute leur vie. Quand tu ne peux pas être avec ton chien, il souffre, c’était pareil pour Ulysse.
M.A. : Pour en revenir à Ulysse, recevait-il de la nourriture en dehors des spectacles ? Prenait-il des médicaments ?
A.L. : Ulysse mangeait 60 kg de poisson par jour. Comme aux dauphins, je lui donnais à manger 5 ou 6 fois par jour pour qu’il s’ennuie moins. Ulysse et les dauphins prenaient des vitamines et des médicaments pour protéger leur estomac des maladies causées par le stress de la captivité. Ulysse avait un abcès à la queue qui ne guérissait pas et s’aggravait deux ou trois fois dans l’année. C’était handicapant pour lui. Alors il avait des antibiotiques. À Barcelone, nous n’utilisions pas de tranquillisants. En Italie, où j’ai travaillé ensuite, ils donnaient des hormones aux dauphins pour les tranquilliser, moi j’ai tenté de stopper ce système.
M.A. : As-tu revu Ulysse ?
A.L. : Un an après son départ, je suis allé à SeaWorld pour le voir. Mais cette entreprise a des règles très strictes. Je n’ai pas pu nager avec lui et je n’ai pas pu bien le voir, ce n’est pas possible d’avoir des interactions sans aller dans l’eau avec lui. Je pourrais le voir sur internet car il est filmé en direct avec une webcam mais je ne le regarde pas car ça me fait mal.
M.A. : Cela reviendrait pour la plupart d’entre nous à être séparé d’un animal aimé et, de plus, détenu dans des conditions de maltraitance. C’est insupportable… Te souviens-tu de situations précises pouvant être à l’origine de ta décision courageuse ?
A.L. : Lors de mon premier emploi dans un zoo, à 18 ans, la première chose qu’on m’a demandé de faire était de tuer un dingo. Quand j’ai demandé pourquoi il fallait le tuer, on m’a dit il n’y avait pas d’installation pour lui. À ce moment-là, j’ai compris qu’un zoo est une entreprise commerciale qui enferme et exploite les animaux. Et je suis resté pour tenter de changer cela, pour les animaux. Avec les dauphins, la première chose que m’a apprise le responsable était de les frapper sur le dos avec un bâton pour les faire passer d’un bassin à l’autre. J’ai proposé d’apprendre cela aux dauphins, mais l’instructeur m’a dit que c’était plus facile de les battre. J’ai pu faire cela pour les dauphins, leur apprendre à passer d’un bassin à l’autre. J’ai pu leur éviter les coups. Mais un jour, j’ai compris que je ne pouvais pas changer les choses, alors j’ai cessé ce métier et j’ai décidé de rejoindre le mouvement associatif pour faire fermer les delphinariums et les zoos.
M.A. : Que penses-tu de la manière dont les humains traitent les cétacés ?
A.L. : Pour dire si les baleines sont intelligentes ou non, il faudrait avoir la même intelligence qu’elles, une intelligence qui permette de comparer. Nous ne l’avons pas. Et les humains ont commis beaucoup de crimes, jamais les baleines. J’en déduis qu’elles sont plus intelligentes que nous, les humains. Les cétacés vivent sur un autre plan car ils ont évolué dans la mer. Les orques, comme les grands dauphins, ont un comportement social très développé, similaire à celui des humains.
M.A. : Mais c’est un comportement sans la violence qui apparaît chez les humains…
A.L. : Oui, exactement.