Les cochons
En 2015, le Dr Lori Marino et ses collègues publiaient une étude intitulée Thinking Pigs: A Comparative Review of Cognition, Emotion, and Personality in Sus domesticus, synthétisant les recherches sur les capacités émotionnelles et cognitives des cochons.
En 2015, le Dr Lori Marino et ses collègues publiaient une étude intitulée Thinking Pigs: A Comparative Review of Cognition, Emotion, and Personality in Sus domesticus, synthétisant les recherches sur les capacités émotionnelles et cognitives des cochons. Leurs conclusions sont les suivantes :
Les cochons
Les cochons peuvent manier un langage symbolique
Les cochons sont à même de comprendre un langage symbolique simple ainsi que des combinaisons complexes de symboles désignant des actions et des objets. Dans une étude sur la recherche sur la compréhension du langage symbolique chez les dauphins (Tursiops truncatus, Herman, 1980, 1987 ; Herman, Hovanick, Gory et Bradshaw, 1989) et les lions de mer (Zalophus californianus, Schusterman, 1993), deux cochons vietnamiens ont réussi à traiter avec succès les composants sémantiques (sens) et syntaxiques (séquences) d’une langue artificielle. Ils ont démontré leur compréhension des symboles gestuels et verbaux représentant des objets (frisbee, boule, haltères) et des actions (s’asseoir, chercher, sauter) (Cerbulis, 1994). De plus, ils ont appris à comprendre une combinaison de ces deux types de symboles en vue d’une action (par exemple, aller chercher le frisbee).
Les cochons ont une mémoire spatiale exceptionnelle
En tant qu’animaux fouisseurs, les porcs sont particulièrement à l’aise avec la mémoire spatiale et la numération. Ils apprennent facilement à se déplacer dans des labyrinthes (Jon et al., 2000 ; Siegford, Rucker & Zarella, 2008), même dans des environnements hautement artificiels comme des labyrinthes aquatiques. L’apprentissage et la mémoire spatiale chez les porcs ont été étudiés selon une méthode spécifique, la procédure Holeboard (van der Staay, Gieling, Pinzon, Nordquist & Ohl, 2012). Le « holeboard » est une arène en plein champ avec de nombreux trous cachant de la nourriture. Cette installation permet aux cochons de fourrager en utilisant leur groin comme ils le font dans la nature (Bolhuis et al, 2013 ; Gieling, Arts, Nordquist & van der Staay, 2012 ; Gieling et al, 2013 ; Nawroth & von Borell, 2014). Les cochons modulent leur recherche de nourriture en fonction du renouvellement des ressources. Lorsque cette ressource se renouvelle naturellement (des plantes, par exemple) et que tout est consommé, les cochons attendront plusieurs jours avant d’explorer à nouveau l’endroit. Une mémoire biographique, c’est-à-dire le souvenir d’événements particuliers inscrits dans un contexte spatial et temporel, a également été démontrée chez les cochons (Kouwenberg et al., 2009).
Ainsi, les porcs apprennent rapidement les discriminations spatiales utilisant la mémoire de travail et la mémoire de référence (Bolhuis et al, 2013 ; Gieling, Arts, Nordquist & van der Staay, 2012 ; Gieling et al, 2013 ; Nawroth & von Borell, 2014). Les porcs se souviennent aussi de l’emplacement, du contenu et de la valeur relative des sites précédemment découverts qui ont stimulé leur intérêt. Au terme d’intervalles de 10 minutes à 2 heures, les porcs utilisent avec succès leur mémoire spatiale pour se diriger vers les zones de recherche utiles et éviter les zones précédemment trouvées vides (Mendl, Laughlin & Hitchcock, 1997). Ces études montrent aussi que les porcs peuvent utiliser leur mémoire spatiale avec souplesse, soit pour retourner à l’endroit précédent, soit pour déduire l’emplacement de l’endroit suivant. D’autres résultats suggèrent que les porcs sont capables de distinguer et de se rappeler les emplacements des sites alimentaires selon leur valeur relative. Il est possible qu’une forme de numération soit utilisée dans ce contexte pour estimer les quantités de nourriture (Cutini & Bonato, 2012).
Les cochons sont joueurs
Les porcs aiment apprendre, découvrir et jouer (Donaldson, Newberry, Spinka et Cloutier, 2002 ; Olsen, Simonsen & Dybkjær, 2002 ; Newberry et al. 1988 ; Bois-Gush et Vestergaard, 1991, 1993). Ils présentent un large éventail de comportements dans ce domaine, dont le jeu social et le jeu avec un objet (Horback, 2014). Les cochons secouent ou transportent un objet tels qu’une balle ou un bâton, ou bien encore se jettent de la paille (Bolhuis, Schouten, Schrama & Wiegant, 2005 ; Dudink, Simonse, Marques, de Jonge et Spruijt, 2006 ; Newberry et al., 1988). Ils secouent la tête en tous sens, sautent, sautillent, trottinent, pivotent, gambadent et se couchent face au sol. Leurs jeux sociaux comprennent des luttes amicales, des coups d’épaule et le fait de se poursuivre l’un l’autre (Horback, 2014) — autant de comportements que l’on retrouve chez le chien.
Les cochons se reconnaissent entre eux
Comme tous les autres animaux à la socialité complexe, les porcs se reconnaissent entre eux et montrent une préférence pour les personnes qui leur sont familières (de Souza, Jansen, Tempelman, Mendl & Zanella, 2006 ; Kristensen, Jones, Schofield, Blanc & Wathes, 2001 ; McLeman, Mendl, Jones, Blanc et Wathes, 2005). Ils distinguent également les étrangers des individus déjà connus d’eux d’après la seule odeur de leur urine (Mendl et al., 2002). Comme les chiens, les porcs utilisent également l’ouïe pour reconnaître leurs congénères (Molnar, Pongracz, Farago, Doka & Miklosi, 2009). Chaque cochonnet possède ainsi un son de voix unique reconnu par sa mère (Illmann, Schrader, Pinka & USTR, 2002).
Les cochons sont également capables de distinguer entre des humains connus et inconnus (Koba & Tanida, 1999 ; Tanida & Nagano, 1998), mais avec un moindre degré de subtilité que les chiens. Étonnamment, l’odorat est peu utilisé dans ce cas-là, le cochon distinguant davantage les humains selon leur taille et certaines caractéristiques de leur visage.
Les cochons comprennent les humains
Lors d’une expérience exigeant un choix actif entre deux humains, Nawroth, Ebersbach et von Borell (2013a, b) ont constaté que les jeunes cochons sont très habiles à interpréter les indices donnés par les visages humains et distinguer les différents états d’attention chez l’humain (Nawroth et al., 2013a). Ils préfèrent ceux qui leur prêtent attention à ceux qui leur témoignent de l’indifférence. En outre, les porcs peuvent comprendre le sens du « doigt pointé » dans certaines circonstances, lorsqu’on leur indique une récompense alimentaire (Nawroth et al., 2013b). Les cochons ont cependant plus de mal que les chiens quand il s’agit d’une cible éloignée.
Les cochons ont une théorie de l’esprit
À l’instar des chimpanzés et des dauphins, les cochons ont développé une intelligence sociale sophistiquée. Ils disposent d’une « théorie de l’esprit » qui amène l’individu à tenter de deviner les pensées d’un autre et à modifier son comportement en fonction de ce qu’il croit que pense ce dernier. Cela implique aussi que le cochon puisse reconnaître la signification d’un doigt pointé ou de l’expression d’un visage.
Par exemple, les porcs présentent des capacités complexes à manipuler leurs congénères à leur avantage lors de situations de recherche de nourriture en commun.
Si deux porcs fourragent en même temps et que l’un connaît la place de mets cachés, l’autre le suivra et tentera de les lui dérober. Sachant cela, le premier porc fera en sorte de ne pas montrer à son congénère qu’il connaît l’endroit de la nourriture dissimulée quand celui-ci le regarde, ou de le tromper sur la direction qu’il prend. Il s’empressera aussi de la consommer avant qu’un autre cochon n’arrive à proximité (Held, Mendl, Devereux et Byrne, 2002 ; Held, Mendl, Laughlin et Byrne, 2002). Les cochons font ici preuve de ce que les éthologues appellent une « intelligence machiavélienne ». En revanche, s’il se trouve en compagnie d’un congénère à qui il peut faire confiance, aucune stratégie de dissimulation ne sera mise en œuvre par le cochon.
Les cochons éprouvent de l’empathie
La contagion émotionnelle et l’empathie ont pu être démontrées dans de nombreux groupes d’animaux socialement complexes tels que les chiens, les grands singes ou les dauphins. Certaines des études les plus intéressantes prouvent que la contagion émotionnelle chez les porcs implique des réponses à l’anticipation d’événements positifs ou négatifs que d’autres porcs vont connaître, révélant l’importance des facteurs sociaux dans l’émotion. Ces résultats montrent que non seulement les porcs se connectent avec les émotions des autres porcs, mais qu’ils peuvent aussi le faire avec des porcs qui réagissent émotionnellement en prévision d’événements futurs (Reimert, Bolhuis, Kemp & Rodenburg, 2013). Ainsi dans une expérience, une musique de Bach annonce à un groupe de cochons que des friandises vont arriver. Mais une marche militaire les prévient qu’un courant d’air froid va les atteindre. Lorsque d’autres cochons sont introduits dans le laboratoire, ceux-ci deviennent enjoués en même temps que les premiers, dès que se fait entendre la musique classique, et abaissent leurs oreilles en signe de stress quand la marche militaire retentit. Ils ne savent pourtant rien de ce qui va suivre.
Les cochons ont une personnalité et du tempérament
Chez les humains, il existe un large consensus pour accepter le modèle à cinq facteurs de personnalité comprenant les dimensions de l’extraversion, de l’amabilité, de l’esprit consciencieux, du névrosisme et de l’ouverture à l’expérience (McCrae et Costa, 2008). Ces traits de personnalité ont pu être identifiés chez les animaux non-humains. Les études sur la personnalité des cochons sont importantes pour comprendre quels traits les porcs partagent avec d’autres espèces, y compris les humains, ainsi que pour avoir une meilleure compréhension de la variabilité individuelle de la performance cognitive (Carere & Locurto, 2011 ; Sih & Bell, 2008).
Les porcs présentent des caractéristiques comportementales et émotionnelles constantes qui ont été décrites comme différents types de personnalité, selon les styles d’adaptation, les types de réponse, le tempérament et les tendances comportementales (Brown et al., 2009 ; D’Eath, 2002 ; D’Eath & Burn, 2002 ; Hessing et al., 1993 ; Ijichi, Collins et Elwood, 2013 ; Janczak, Peddersen & Bakken, 2003 ; Lawrence, Terlouw & Illius, 1991 ; Melotti, Oostindger, Bolhuis, Held & Mendl, 2011 ; Ruis et al., 2000 ; van Erp-van der Kooij et al, 2002). Les différences individuelles ont tendance à être plus cohérentes avec l’âge. Un certain nombre d’études ont montré des profils de personnalité chez les porcs comparables à ceux d’autres espèces (Forkman, Furuhaug & Jensen, 1995 ; Gosling & John, 1999).
Les cochons sont conscient d’eux-mêmes
Deux par deux, huit cochons sont restés cinq heures dans un enclos où se trouvait un miroir. Au début, ils se sont énervés contre leur reflet, mais peu à peu ils ont compris qu’il ne s’agissait pas d’autres individus présents. L’équipe de chercheurs a ensuite installé un bol empli de nourriture visible dans le miroir mais caché derrière une barrière. Parce que les cochons ont un excellent odorat, un ventilateur a effacé toute odeur. Sept porcs sur huit ont résolu le problème en quelques dizaines de secondes, filant droit vers le bol réel. Ce comportement implique que les animaux interprètent correctement les mouvements d’eux-mêmes qu’ils ont vus dans le miroir par rapport au décor environnant, ce qui sous-entend un degré certain de conscience de soi.
Les porcs ont également exprimé un autre comportement qui démontre l’existence de cette conscience de soi. Lors d’une expérience, on propose à un cochon un joystick qui fait se déplacer un point sur un écran. Une friandise est donnée au cochon dès que le curseur atteint une zone spécifique grâce à la manipulation du joystick. Dans cette expérience, les aptitudes du cochon sont comparées à celles du chien, et c’est le premier qui se montre de loin le plus habile (Croney, 2014).
Manipuler un joystick pour atteindre une cible implique en effet une capacité cognitive complexe, celle de reconnaître les actions causées par soi-même et de les guider. Il s’agit d’une composante fondamentale de l’autonomie et du comportement intentionnel. Les porcs partagent cette capacité avec les chimpanzés : ils voient parfaitement la différence entre les mouvements du curseur sur l’écran de l’ordinateur, selon qu’il est causé par eux-mêmes ou par quelqu’un d’autre (Kaneko et Tomonaga, 2011).
Références :
Thinking Pigs: A Comparative Review of Cognition, Emotion, and Personality in Sus domesticus
Lori Marino & Christina M. Colvin
The Kimmela Center for Animal Advocacy, The Someone Project
Emory University, USA