Poignard dans des mains d’enfants
Jouer. Grandir. Aimer. Trois mots qui devraient résumer l’enfance. Au lieu de ça, au coeur même de notre pays pourtant privilégié, des enfants sont encouragés à devenir apprentis tortionnaires. One voice dit STOP !
Jouer. Grandir. Aimer. Trois mots qui devraient résumer l’enfance. Au lieu de ça, au coeur même de notre pays pourtant privilégié, des enfants sont encouragés à devenir apprentis tortionnaires. Au sein des arènes, ils doivent apprendre à tuer, apprendre à surmonter l’image terrible du sang, oublier leur empathie naturelle… Face à eux : de jeunes taureaux qui devront supporter leur inexpérience à travers une mort lente et douloureuse. One voice dit STOP ! Et lance une vaste campagnepour la promotion de la paix avec les animaux.
Tous les ans, à Nîmes, se déroule un terrifiant spectacle, un spectacle de l’horreur. L’horreur d’un enfant, armé d’une dague, assassinant un veau ou un jeune taureau. Le cauchemar d’un enfant qui fait couler le sang, d’un enfant qui perd son innocence, marqué à jamais par son premier crime. Mais le cauchemar aussi d’un jeune animal, terrifié, torturé sous les applaudissements d’une foule enthousiaste…
Graines de toreros
Graines de toreros est un trophée organisé chaque année par les 27 communes de l’agglomération nîmoise. Plusieurs jeunes apprentis toreros s’opposent durant toute une saison pour déterminer lequel d’entre eux sera élu meilleur espoir… Dans un premier temps, une tienta1 permet une présélection des jeunes toreros qui auront accès à la seconde partie du spectacle, avec mise à mort de jeunes taurillons. Durant cette seconde partie, il n’y a pas – contrairement à une corrida classique – de picador (intervenant à cheval avec une pique). Les apprentis ont cependant droit aux banderilles s’ils le souhaitent. Le « spectacle », qui est tout demême très approximatif même pour les aficionados, est gratuit et censé promouvoir ainsi le « sport » taurin auprès d’un large public. Et en effet, dans le public pas toujours intéressé (sic), les images révèlent la présence de nombreux enfants de tous âges…
Des mises à mort particulièrement violentes
Qui dit apprenti, dit « manque de maîtrise ». Cela vaut aussi pour les toreros. Quand on sait les dérives de ceux qui sont considérés comme des professionnels, on devine les extrêmes auxquels mène ce type de concours. Car jamais nos enquêteurs, qui ont assisté à plusieurs sessions, n’ont pu voir unemise à mort rapide. Au contraire, avec ces jeunes apprentis toreros, la mise à mort n’était rien d’autre qu’une longue scène de torture, d’une cruauté insoutenable. Et ces adolescents, ces enfants, étaient encouragés par leurs parents, par le public, parfois aidés aussi, accompagnés comme pour apprendre à faire du vélo : « Doucement, prends ton temps […] le poignet plus ferme […] tends le bras, etc. » Mais on entendait aussi : « Tiens-la droite cette épée ! » Car pour eux, il s’agissait d’apprendre à tuer…
Poignardés !
Lorsque l’estocade finale, portée avec une épée, n’est pas fatale au taureau, le torero doit le tuer d’un coup de descabello (sorte de grand couteau) dans la nuque. Ce geste, déjà peu évident pour les « habitués », a donné lieu à des scènes terribles. Ces jeunes taureaux, ces veaux, les yeux terrifiés, se sont littéralement fait poignarder par les « graines » de toreros. Quelles pensées ont bien pu accompagner cet acharnement sur des animaux sans défense, victimes résignées que l’on n’arrive pas à tuer alors qu’on y met toute son énergie ? Quelle part de conscience doit être occultée pour que tuer devienne une mécanique, une expression artistique ? Comment ces enfants survivent- ils à cette obligation de prendre la vie pour plaire aux adultes, à leurs modèles, à leurs référents ? Quelle part d’euxmêmes les oblige-t-on à sacrifier ? Clairement, pour y parvenir, ils doivent « oublier » ce qu’ils font, oublier une part sensible d’eux-mêmes, pour considérer ces taureaux non plus comme des animaux mais comme du matériel d’entraînement. Comment sinon survivre à leurs gémissements ?
Car ce qui a frappé nos enquêteurs lors de ces mises à mort, ce sont les pleurs des taurillons. Des pleurs de souffrance, des pleurs qui appellent à la clémence, à la grâce ou à la délivrance…
Au-delà de la cruauté
Les gestes portés aux taureaux ont montré une violence sourde, une cruauté aveugle, comme ce coup de pied à un taureau qui ne se couchait pas mais continuait à faire face. Ce fut également le cas d’estocades finales qui n’avaient rien de final, comme celle de ce jeune torero obligé de planter six fois son épée, ou de cet autre qui a transpercé le taureau de part en part, faisant jaillir le sang de son abdomen et provoquant l’émoi des enfants dans le public.
Le cauchemar d’un taureau
Pour l’un des jeunes taureaux, c’est un cauchemar sans fin. Il est jeté dans l’arène déjà en piteux état, mais avec les excuses du présentateur qui explique que c’est arrivé pendant le transport, et qu’il n’y a pas de « remplaçant » disponible… Car ce taureau s’est arraché une corne, désormais seulement retenue par un peu de peau.Mais pour lui l’horreur est loin d’être terminée. Encore vivant après le coup de grâce (sic), il est toujours conscient lorsque le jeune torero lui coupe les oreilles, et toujours aussi tandis qu’il est accroché pour être tiré hors de l’arène… Et il lui faudra encore subir plusieurs coups de poignard avant d’être enfin libéré de toute cette souffrance.
Pour un monde en paix !
Si la corrida participe à n’en pas douter à la banalisation de la violence, le concours « Graines de toreros » revêt une dimension particulière. Aucun enfant ne peut sortir indemne de ces spectacles, qu’il y participe ou simplement y assiste. Des images d’une violence équivalente leur seraient clairement déconseillées sur le petit écran ! Ériger en exemples, voire en héros, ceux qui donnent lamort ne peut qu’entrer en contradiction avec les fondements d’une société moderne. L’éducation que nous donnons à nos enfants, les valeurs que nous leur inculquons constituent le monde de demain. Nous ne pouvons leur souhaiter un monde de guerres et d’oppositions, un monde violent où l’on peut jouer à tuer, où l’on peut exploiter les plus faibles et en tirer du plaisir. Nous voulons pour nos enfants un monde plus juste, un monde en paix !
1 – Tienta : dérapage d’un picador Une tienta est une épreuve de sélection des animaux qui seront destinés à la reproduction pour fournir des taureaux de corrida. L’objectif n’est donc pas de les tuer mais de tester leur «bravoure». C’est le picador qui s’en charge, armé d’une pique à pointe réduite. Au cours de l’une d’entre elles, qui précédait le concours « Graines de toreros », le picador a largement raté son objectif : le jeune taureau a vraisemblablement été touché à la colonne vertébrale car il ne tenait plus debout. À dix reprises, il a chuté et on l’a obligé, non sans mal, à se relever ! Touchés, certains spectateurs ont demandé au picador d’arrêter, d’autres sont partis. Enfin, l’apprenti picador a abandonné, et le jeune animal a rejoint le toril – traîné par des spectateurs descendus dans l’arène ! – où il a sans doute été abattu…