le vendredi 03 juin 2016 | 62

Le gorille et l'enfant

Le gorille et l'enfant

Mis à jour le 05 mars 2018

Lorsque Harambé a vu tomber le garçonnet dans le fossé de son enclos au Zoo de Cincinnati, il s'en est approché aussitôt. Un enfant humain ou un enfant gorille, pour lui, c'était presque pareil, ils se ressemblent tant ! Le jeune gorille n'était pas encore père lui-même mais s'est inquiété du petit humain comme il l'aurait fait de l'un des siens. Il s'est assuré que le bambin vivait toujours puis l'a protégé de son grand corps sombre et puissant.

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C'est alors que les cris ont commencé, les hurlements stridents, les « Oh my God ! » et la foule hystérique massée sur le parapet qui les regardait tous deux en jetant des objets.

Surpris, le gorille a traîné l'enfant dans l'eau un peu plus loin, avec la force qui est la sienne. Puis ils se sont arrêtés de nouveau, non loin de la cascade. Le gorille a pris la main du garçon dans la sienne. Il l'a remis debout, lui a même remonté sa culotte et réajusté son T-shirt. Le gorille a regardé longtemps l'enfant dans les yeux. Et puis d'un coup, sans prévenir, une balle lui a explosé le crâne. Le bel Harambé est mort à 17 ans, au lendemain de son anniversaire.

On aurait pu le distraire avec des friandises ou l'éloigner avec une lance à eau. On aurait pu évacuer la foule, calmer le grand singe, lui parler doucement. Franz De Waal et d'autres spécialistes du comportement des primates l'ont répété ces jours-ci : à aucun moment, Harambé n'a montré le moindre signe d'agressivité, seulement de l'inquiétude à l'égard du public.

Mais ce n'était qu'un singe, après tout, dont la vie ne vaudra jamais celle d'un humain. Plutôt que de prendre le moindre risque, on a préféré régler le problème avec des armes.

Pour le Zoo de l'Ohio, qui avait acquis cet étalon en 2015 au Gladys Porter Zoo, Harambé n'était qu'un réservoir de gènes précieux. L'absurde logique eugénique des programmes de reproduction veut que l'espèce prévale toujours sur l'individu. Aussi a-t-on prélevé aussitôt le sperme de son cadavre pour le réfrigérer et l'injecter le jour venu à une femelle soigneusement choisie. C'est que les naissances au zoo sont aussi très lucratives.

Pourtant, quel que soit le nombre de gorilles des plaines de l'Ouest que l'on pourra élever en batterie, ceux-ci ne sauveront jamais l'espèce elle-même. Aucun de ces grands singes nés parmi les humains ne serait capable de retourner au pays de ses ancêtres et d'y survivre. Les gorilles sont des êtres de culture, des personnes paisibles, intelligentes et végétariennes qui ont évolué au sein de la forêt primaire depuis des millénaires. Ils se transmettent leurs connaissances de génération en génération et nul humain ne saurait les leur enseigner.

La véritable urgence, ce n'est donc pas de multiplier, en fonction des besoins de l'industrie du loisir, de petits groupes de gorilles de spectacle, que l'on ira voir en famille en mangeant du pop-corn et moyennant finance. La véritable urgence, c'est de sauver au plus vite, tant qu'on le peut encore et avec des moyens sérieux et importants, l'habitat de ces grands singes, tels la réserve de Dzanga Sangha ou les Monts Virunga. Sans la forêt, les gorilles ne sont plus des gorilles mais des monstres de foire, de pitoyables King Kong de pacotille devant qui la foule aime frémir à distance.

Harambé n'était pas King Kong. Ce n'était qu'un jeune prisonnier né captif dans un univers confiné où il n'avait absolument rien à faire, au propre comme au figuré. Que restera-t-il de cette tragédie ? Une querelle vaine sur la responsabilité des parents, un grand chagrin chez les gorilles de Gorilla World, mais pas encore, hélas, une mise en cause radicale de ce qui a vraiment tué Harambé : les zoos. C'est un zoo qui l'a fait naître, c'est un autre qui l'a tué, avec le même souci productiviste que l'on accorde aux malheureux poulets d'élevage.

Repose en paix, Harambé. Nous mettrons tout en œuvre pour qu'en France et ailleurs dans le monde, de tels drames cessent un jour d'exister.

Yvon Godefroid
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Commentaires 62

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taty | mardi 07 juin 2016

Boycot de tous les zoos c'est la seule solution.

eucil | mardi 07 juin 2016

Bien que je sois triste pour le gorille... j'ai une question pour vous qui avez écrit cet article... Êtes vous spécialiste en comportement animal... plus particulièrement pour les gorille???

Parce que j'ai lu un article d'une comportementaliste qui a travaillé dans un zoo. Et bien que ça lui ait briser le coeur de voir un gorille se faire tuer... C'était la seul solution car non... le gorille ne se comportait pas avec le petit comme un des siens. Oui, il aurait très bien pu devenir violent car l'enfant était un intru dans son enclos et il était stressé...

C'est certain que ça n'aidait pas avec les cris autour mais le zoo n'avait d'autres choix. Croyez-vous que ça leur a fait plaisir de tuer ce gorille qui était une attraction pour leur clients...

La seule chose à dire... C'est que les zoo ne devrait pas exister, à moins que ce soit des animaux rescapés qui ne peuvent retourner dans leurs habitacles naturels. Comme l'écomuséum que nous avons à Montréal...

One Voice | mardi 07 juin 2016

Harambé protégeait l’enfant, la primatologue Jane Goodall, qui a passé la majeure partie de sa vie à étudier les primates, est formelle. Dans tous les cas, la question ici est bien de poser la question de l’existence des zoos qui ne protègent pas les animaux mais les exploitent pour du profit.

Théa | lundi 06 juin 2016

Le geste tueur a été trop hâtif ?

NORM27 | lundi 06 juin 2016

Tant que l'être humain sera pris dans les pièges de l'égo il réagira de cette façon. L'amour et la sincérité de ce gorille sont de toute beauté si c'est vraiment ce qui s'est passé. Un espoir en moi qu'au moins quelques humains verront comment nous jugeons autant les animaux comme les humains de façon radicale avec notre ÉGO. Les justes serons récompensés un jour.... je souhaite que nous apprenions quelque chose de cette expérience. Merci à ce gorille d'avoir donné sa vie pour nous montrer notre EGOISME ....