le jeudi 11 février 2016 | 11

Le dernier voyage de Valentin

Le dernier voyage de Valentin

Mis à jour le 05 mars 2018

C'est le 13 février 1996 que Valentin naquit là où nulle orque ne devrait naître : entre les murs d'un bassin. Il mourra entre ces mêmes murs le 12 octobre 2015 à l'âge de 19 ans, sans avoir jamais quitté le Marineland d'Antibes.

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Naissance

Les orques tournent et tournent en rond nerveusement dans la piscine. On aperçoit la petite Shouka qui passe, mais aussi Kim et Sharkane, la marraine, surveillant l'accouchement et qui mènera bientôt l'enfant en surface. La caudale du nouveau-né pointe d'abord du ventre de Freya. Le corps suit peu à peu, puis un panache de sang, et Valentin vient au monde. Il découvre l'univers minuscule qui sera le sien sa vie entière : des parois de béton, de l'eau trouble au goût de chlore, du bruit. Et lorsqu'il lève la tête hors de l'eau, il aperçoit des bâtiments, des gradins et des humains debout. Partout des murs. En 1996, le bassin des orques est celui des dauphins aujourd'hui. Cinq détenus s'y entassent. Le premier souci de Freya est donc d'empêcher son fils de se cogner aux parois lorsqu'il joue et de lui apprendre à freiner son élan. Car rien ne prépare un cétacé, même né captif, à vivre dans une fosse.

Dressage

À six mois, Valentin participe à ses premiers shows. Son rôle se réduit alors à suivre sa mère et à la téter sous les applaudissements. Vers un an, au moment du sevrage, les dresseurs lui font vite comprendre que sans travail, pas de poisson. Val doit apprendre la discipline et cesser de faire le fou parmi les adultes en plein show. Il doit aussi accepter d'être séparé de sa mère, isolée dans un autre bassin. Le petit prince Valentin devient très populaire. Il a son fan club et sa page Facebook. Des adolescentes s'échangent ses plus belles photos avec plein de petits cœurs. On le reconnaît aisément au grain de beauté qu'il porte à droite sous la gorge.

Chagrin 

Val est la deuxième orque à naître au Marineland après Shouka, fille de Sharkane, son aînée de trois ans et sa copine de jeu. Il est aussi le premier enfant viable de Freya, que l'on pensait stérile du fait des traitements aux rayons X reçus autrefois. Avant Val, elle avait accouché d'un premier mort-né en mars 1991, puis d'un second en 1993. Après lui, elle perdra encore deux autres enfants, en 2001 et 2003. C'est dire si elle aime son fils et si elle le protège ! Après sa dernière fausse couche pourtant, Freya, déjà malade, s'enfonce dans la dépression. Elle flotte dans le bassin à l'écart des autres, ne participe plus aux spectacles et n'obéit plus aux soigneurs. Parfois, elle vient heurter sa tête contre les vitres du bassin principal, sans fin, le cœur dévoré de tristesse. Valentin voit tout cela. Il voit sa mère souffrir et souffre lui aussi. En 2002, le départ de Shouka, sa demi-sœur adorée, l'avait déjà profondément abattu. La jeune orque avait été envoyée à Vallejo aux USA, où elle resta seule pendant dix ans. À son tour, ventre en l'air, Valentin se mit à se frapper le front contre le bord de sa piscine près de la « grotte des soigneurs ». Tout au long de sa vie, il gardera ce comportement stéréotypé.

Deuil

Lorsque Freya s'éteint en juin 2015, le monde de Valentin s'écroule une nouvelle fois. Sa mère était la dernière orque capturée par le Marineland. Toute sa vie, elle n'avait cessé d'être malade et son flanc porte la marque de radiographies intrusives. « Crise cardiaque », déclare le Marineland. Mais Freya avait d'autres raisons de mourir. Elle laisse derrière elle une petite famille bouleversée, sans guide, sans matriarche. Pour les cinq survivants, c'est un choc terrible. Mais le Marineland n'a pas le temps de leur laisser faire le deuil de Freya. Le soir même, un show a lieu pour les « distraire » de leur chagrin et ne pas perdre de clients. Valentin n'est pourtant pas « distrait » par ce show, ni par aucun autre à l'avenir. Dans son esprit, un vide immense s'est creusé, un sentiment d'abandon que seul le fils aimé d'une orque peut comprendre. 

Les rapports de force changent brutalement dans le huis clos des piscines : Freya morte, Val n'est plus le petit prince protégé de sa maman. Son statut social s'écroule. Il se retrouve en face d'une demi-sœur acariâtre chargée de deux enfants et de son demi-frère, Inouk, l'effacé. La tension monte, les bagarres explosent, Freya n'est plus là pour faire régner l'ordre. L'été 2015, Valentin est effondré, flottant seul et immobile dans un coin de sa piscine trop bleue. Autour de Val, une ambiance de foire : la musique incessante, les éclats de voix des visiteurs, l'odeur de la nourriture et les lumières allumées jusque tard dans la nuit. Valentin n'entend plus. Il ne remue presque plus.

Mort

Les jours passent. La chaleur monte. Puis d'un coup, le ciel se déchaîne. Des pluies diluviennes s'abattent sur la région. Le Marineland est submergé par la boue et les détritus. L'eau des bassins devient ocre. On enferme les survivants dans un petit bassin latéral, pour les tenir à l'écart des eaux souillées. Ils s'y battent et se mordent. Wikie tombe malade, on l'isole. Valentin est-il encore vivant ? N'a-t-il pas supporté de voir son univers familier s'effondrer après la mort de sa mère ? A-t-il avalé quelque chose de toxique ? A-t-il été blessé par un siège des gradins lancé à toute volée ? Ses blessures se sont-elles infectées ? Est-il mort pendant l'inondation ? Nous n'en savons rien. Le lundi 12 octobre, la direction du Marineland publie un bref communiqué : « Marineland est extrêmement triste d'annoncer le décès aujourd'hui à 12h de Valentin, une orque née au sein du parc », ajoutant deux jours plus tard : « Le premier examen visuel de l'orque Valentin, décédé il y a quelques jours, révélerait une torsion de l'intestin comme chez le chien ou le cheval ». Mais les orques ne sont pas des chiens, et les torsions de l'intestin causées par le stress ne les affectent pas en mer. 

Chaque jour, elles parcourent en moyenne 160 kilomètres et plongent à plus de 100 mètres de profondeur. Valentin, lui, n'aura fait qu'un seul voyage durant sa courte vie, du Marineland d'Antibes au clos d'équarrissage. Une grue énorme est venue soulever son corps hors de ce qui fut son berceau et sa tombe, comme elle en souleva tant d'autres avant lui. Depuis son ouverture en 1970, au Marineland d'Antibes, neuf orques adultes sont décédées avant l'âge — compte non tenu des fausses couches. Calypso est morte à 11 ans, Clovis à 4 ans, Kim à 14 ans, Betty à 13 ans, Kim2 à 27 ans, Sharkane à 23 ans, Tanouk à 14 ans, Freya à 32 ans. L'âge moyen des orques sauvages est de 50 à 80 ans. Granny, la matriarche du J Pod, a fêté ses 104 ans. Valentin, lui, n'avait que 19 ans... 

Si ses parents n'avaient pas été capturés, Val serait aujourd'hui un mâle superbe fendant les flots de la mer d'Islande de son immense aileron dressé. Il nagerait aux côtés de sa mère, toujours vivante et pour longtemps, avec toute une tribu de frères, de sœurs, d'oncles et de tantes. Il chasserait le hareng, jouerait, aurait de nombreuses amies de cœur dans d'autres tribus, quelques enfants ici et là. Sa vie serait chaque jour une nouvelle aventure dans l'eau glacée des fjords.
Mais des hommes en ont décidé autrement. Valentin a vécu au cachot toute sa vie, l'estomac ravagé par les ulcères, le menton lacéré de trop se frotter au béton des cuves, l'aileron dorsal se courbant peu à peu…

Ce n'est pas ainsi que vivent les orques.

Yvon Godefroid
Hr blog

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Commentaires 11

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LAPINOU06 | samedi 15 octobre 2016

Ces animaux n'ont rien à faire là ils souffrent ils sont exploités et forcés à faire des choses juste pour l'amusement et pour l'argent! Mais a-t-on pensé à eux? Ne serait ce qu'une seule fois? Il faut cesser ce genre de choses pour eux ce n'est simplement qu'une prison.

carole | vendredi 14 octobre 2016

Que nous sommes vils nous les hommes, nous faisons de l'argent de tout et surtout de la misère animale, de quel droit capturons-nous des animaux sauvages pour les enfermer et les laisser mourir !

Viv@ | mardi 23 février 2016

Quand on ne sait rien, on se tait !

Marie | lundi 15 février 2016

Condamné à perpétuité sans avoir commis le moindre crime. Comme tous les animaux captifs. Merci One voice d'avoir mis en ligne ce texte remarquqble, en espérant de tout coeur que cela puisse contribuer à faire cesser ces abominations que constituent l'emprisonnement et l'exploitation des orques, des dauphins, de tous les animaux. TOUS.