Lutter pour la transparence ne devrait pas être un travail à temps plein

Lutter pour la transparence ne devrait pas être un travail à temps plein

Expérimentation animale
26.04.2022
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La transparence de l’administration n’est pas censée être optionnelle. Mais la réalité est plus complexe, et la lutte pour la transparence devient vite un travail fastidieux et de longue haleine…

Quand on cherche à accéder aux rapports d’inspection des laboratoires d’expérimentation animale, l’administration résiste souvent. Pourtant, les jugements se suivent et se ressemblent, en faveur d’une transparence prévue par la loi, qui n’est pas censée être optionnelle. Mais il y a parfois de moins bonnes nouvelles : récemment, le tribunal de Nice a autorisé la préfecture des Alpes-Maritimes à cacher l’identité d’un laboratoire… La loi reste sujette à interprétation, et la lutte pour la transparence en devient un travail fastidieux et de longue haleine.

Depuis cet automne, presque trente jugements dans une vingtaine de tribunaux administratifs ont affirmé et confirmé que les rapports d’inspection des laboratoires d’expérimentation animale sont des documents administratifs communicables au grand public.

Dans l’un des derniers exemples en date, le tribunal de Clermont-Ferrand a émis ce jugement pour les préfectures de l’Allier, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme. Ces jugements ne peuvent exister que grâce à un acharnement maintenu sur le long terme.

En effet, l’habitude des administrations est souvent de jouer la carte du silence, en espérant peut-être que les personnes qui s’adressent à elles ne connaîtront pas l’existence de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), ou n’auront pas les ressources, en cas d’avis favorable de la Cada, pour engager des recours dans les tribunaux administratifs, dont les procédures peuvent s’étaler sur plus d’un an. Et dans le cas où tout cela passerait enfin par les tribunaux, le plus probable est encore que les profanes ne sachent pas défendre de manière convaincante leur droit d’accès, tandis que les administrations peuvent faire confiance à leurs services juridiques pour argumenter leur refus en des termes entendables par un tribunal.

Des documents qui devraient déjà être publics

La rédaction de ces recours (et la mobilisation des connaissances nécessaires pour les argumenter correctement) est chronophage, mais il arrive qu’on obtienne satisfaction. Alors que les préfectures prétendent que publier des rapports d’inspection serait risqué pour les laboratoires concernés, qui seraient alors visés par des attaques animalistes, la plupart des tribunaux ne sont pas dupes. Les préfectures prétendent aussi que l’expérimentation animale en elle-même est tellement mal considérée par le grand public qu’il faudrait absolument lui cacher l’identité des laboratoires. Mais là encore, les tribunaux n’y croient pas.

Il faut dire que la très grande majorité de ces laboratoires n’appartiennent pas à Sanofi, à Royal Canin, à Marshall BioResources ou à d’autres enseignes privées. La plupart sont en fait des établissements publics – des universités et d’autres établissements d’enseignement supérieur ou de formation professionnelle, mais aussi des unités de recherche du CNRS, de l’Inserm, de l’INRAE, ou encore des laboratoires de l’armée… Pourquoi n’aurait-on pas le droit de savoir comment notre argent est utilisé dans ces centres de recherche ? Et pourquoi n’aurait-on pas le droit de savoir quand ces centres enfreignent la loi avec l’argent public, c’est-à-dire avec notre argent ?

La transparence en devanture

De nombreux laboratoires ont d’ailleurs signé l’an dernier une « charte de transparence sur le recours aux animaux à des fins scientifiques et réglementaires ». Il faut croire que l’appellation « expérimentation animale » n’attire pas vraiment les faveurs du public – mais reconnaissons qu’une charte qui n’engage pas un centre de recherche à grand-chose d’autre qu’à faire la publicité de l’expérimentation animale et sa réglementation est une trouvaille assez maligne. Cela permet de faire croire au grand public que les laboratoires n’ont rien à cacher, pendant que l’administration fait ce qu’elle peut pour qu’aucune information réellement consistante ne fuite.

Même des personnes qui cherchent à lancer l’alerte en interne peuvent se retrouver sans emploi tandis que rien n’est fait pour que les dysfonctionnements soient résolus. On espère que ce genre de situation disparaîtra avec la protection des lanceurs et lanceuses d’alerte prévue par la loi adoptée à l’unanimité par le Sénat le 16 février.

Les déceptions

Pour l’instant, avec plusieurs tribunaux, plusieurs dossiers, plusieurs jugements, tout ne va pas toujours dans le sens que l’on espère et on peut avoir quelques déceptions et questionnements. En décembre, malgré plusieurs décisions plus favorables déjà publiées par d’autres tribunaux, le tribunal administratif de Lyon a jugé que des risques de sécurité justifiaient l’occultation du nom des établissements sur les rapports d’inspection. On trouve pourtant déjà en ligne des informations sur l’expérimentation animale sur les sites de l’Université Claude Bernard – Lyon 1, du laboratoire P4 de l’Inserm ou de Charles River, qui ne se cachent pas de pratiquer l’expérimentation animale.

Plus récemment, le tribunal administratif de Nice a jugé le 22 février qu’il était possible de cacher le nom d’un seul des établissements concernés par les rapports demandés, dans la mesure où cet établissement abrite une animalerie « A3 » qui manipule le virus de la rage et une zone « P3 » qui manipule le coronavirus félin[1]. D’après ce jugement, à cause de la présence de pathogènes dangereux, révéler le nom de l’établissement reviendrait à créer un risque de sécurité. Il suffit pourtant de taper « animalerie “A3” » dans un moteur de recherche pour tomber rapidement sur les sites web de constructeurs qui indiquent où ils ont produit de telles animaleries, voire sur des sites d’établissements qui indiquent eux-mêmes la présence d’une telle animalerie dans leurs locaux.

De plus, ces pathogènes concernent directement des virus présents dans la nature et ayant une incidence directe sur la santé des animaux sauvages et des populations humaines – sans parler de la détention de primates et d’autres représentants de la faune sauvage dans de nombreux laboratoires, ou encore des risques inhérents à la manipulation des pathogènes quelles que soient les précautions prises (en cas de fuite ou d’accident). Le Code de l’environnement prévoit de faire profiter les informations de ce type d’un droit d’accès étendu pour le public. C’est ce qui était argumenté dans le dossier adressé au tribunal et qui aurait pu faire pencher les magistrats vers une décision encore plus favorable à notre cause. Mais cela n’est pas discuté dans la décision rendue par le tribunal, sans que l’on sache si cet oubli est volontaire ou non.

[1] Les sigles A3 et P3 se réfèrent à des niveaux de biosécurité (de 1 à 4). Plus le niveau est élevé, plus les contraintes sont grandes pour éviter autant que possible les fuites et les contaminations extérieures.

Le combat ne s’arrête pas là

Malgré ces deux décisions plus nuancées, plus d’une vingtaine de jugements d’autres tribunaux ont établi depuis cet automne que les rapports d’inspection des laboratoires d’expérimentation animale sont communicables en n’y cachant que le nom des personnels des établissements et des inspecteurs et inspectrices vétérinaires. Ces jugements sont le résultat d’un travail de fond qu’on ne voit pas sur le terrain et dont on entend peu parler sur les réseaux sociaux – mais c’est un travail qui demande beaucoup de temps, d’énergie et d’argent, pour mettre en lumière ce qui se passe et pour contrer l’opacité ambiante en ce qui concerne l’exploitation des animaux.

De nombreux dossiers n’ont pas encore donné lieu à un jugement, et nous déposerons d’autres demandes pour obtenir les documents qui nous permettent de mieux comprendre la situation, de mieux informer le public, et de dénoncer des pratiques injustifiables, voire illégales. Tant que l’expérimentation animale existera, nous nous battrons pour exiger la transparence, pour demander aux pouvoirs publics d’investir massivement dans des méthodes de recherche n’impliquant pas les animaux et pour obliger les laboratoires à utiliser exclusivement ces méthodes. Nous ne cesserons jamais de nous battre pour les animaux victimes de cette injustice.

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