KANGAROO, l'interview
Le Professeur Peter Singer, et les réalisateurs du film Kangaroo, Mick McIntyre et Kate McIntyre Clere nous ont accordé une interview exclusive.
Nous organisons les deux premières du documentaire « Kangaroo, a love-hate story » en France. Voilà l’interview exclusive de ses réalisateurs, Mick McIntyre et Kate McIntyre Clere, assortie de l’éclairage du Pr Peter Singer.
Comment ce projet est-il né et quel en a été l’élément déclencheur?
Le kangourou est l’un des symboles les plus reconnaissables au monde et a toujours été pour nous une source de fascination. Aucun film n’avait encore exploré cette icône. Nous voulions au départ raconter une histoire célébrant ce magnifique animal, mais nous avons vite compris que les kangourous étaient au cœur d’une situation dramatique, complexe et source de division en Australie. Nous avons été choqués d’apprendre que des millions d’entre eux sont abattus chaque année en tant que soi-disant « nuisibles », et vendus à des fins lucratives. Pour savoir comment une telle barbarie a commencé et pourquoi elle se produit encore à l’heure actuelle, nous devions étudier les origines d’une industrie qui représente le plus grand massacre de faune sauvage au monde et sa complicité avec le gouvernement. Comment a pu germer l’idée qu’un animal indigène vivant en Australie depuis des millions d’années représente un problème national ? Comment et quand les Australiens ont-ils commencé à croire que les kangourous étaient des « parasites » et qu’ils devaient être éliminés ?
«L’un des pires aspects est ce que les petits vivent. Quand la mère est abattue, eux subissent une mort lente. Quand ils ne sont pas dans la poche à cet instant précis, ils s’enfuient dans l’obscurité (les tirs de kangourous ont généralement lieu la nuit), et c’est de soif ou de faim qu’ils décèdent par la suite.»Pr Peter Singer
Combien de kangourous meurent chaque année? Vous dites que le nombre de kangourous n’augmente pas, contrairement aux allégations du gouvernement australien. Pour quelles raisons?
L’un des plus gros problèmes auxquels nous avons été confrontés en faisant ce film a été l’examen des chiffres publiés chaque année par le gouvernement australien sur le nombre de kangourous. Nous avons dû déconstruire la méthodologie utilisée pour effectuer ces recensements et n’avons pas été surpris de constater à quel point elle est erronée.
Nous avons obtenu des témoignages d’experts sur la façon dont le gouvernement grossit les chiffres afin d’abandonner sa responsabilité dans leur sauvegarde. Quant au nombre d’individus tués, nous avons découvert qu’en dépit de la croissance de l’industrie commerciale, de l’élimination des soi-disant nuisibles, des tirs récréatifs et illégaux, de la mortalité routière et des autres décès accidentels ou collatéraux, il existe encore très peu de données sur le nombre de kangourous qui disparaissent quotidiennement. Certains scientifiques et conservationnistes signalent des extinctions locales et régionales, mais ne savent pas combien d’individus sont tués.
Quelles sont les raisons avancées par le gouvernement australien pour déclarer les kangourous nuisibles ?
Lorsque l’Australie a été envahie par les colons blancs il y a 230 ans, les kangourous ont été tués pour la nourriture, mais comme les troupeaux de moutons et de bovins ont augmenté au cours du siècle suivant, beaucoup de gens ont cessé de les manger tout en continuant, pour certains, de les tuer pour le plaisir. Très vite, les colons ont décrété que les kangourous entraient en compétition avec leur bétail pour les pâtures et qu’ils endommageaient leurs récoltes. Plus tard, lorsque les écosystèmes se sont effondrés à cause du bétail en surnombre, les éleveurs ont rendu les kangourous responsables des dégâts et décidé qu’ils devaient être éliminés du paysage. Le gouvernement australien leur a facilité la tâche en étiquetant les kangourous comme nuisibles et en déboursant des millions en primes. L’idée selon laquelle les kangourous sont un fléau s’est perpétuée jusqu’à nos jours.
«Les animaux peuvent causer des pertes aux humains, bien sûr, lorsqu’ils mangent les plantes que nous plantons, ou dans le cas des kangourous, quand ils réduisent la quantité d’herbe disponible pour le bétail ou les moutons. Mais ils ne sont jamais simplement nuisibles. Ils sont aussi des êtres vivants ayant une vie propre à diriger, et nous devrions trouver de meilleurs moyens de limiter leur nombre et de vivre à leurs côtés. Le gouvernement australien ne fait pas suffisamment pour les kangourous. Il est trop influencé par les éleveurs.
»Pr Peter Singer
Pourquoi la plupart des tueries ont-elles lieu la nuit, en secret ?
En filmant Kangaroo, nous avons constaté qu’avec le temps, l’élimination des kangourous au nom de leur soi-disant nuisance avait été remplacée par leur massacre à des fins lucratives. Ces assassinats sont validés par le gouvernement et les tueries ont lieu en pleine nuit, souvent au milieu de nulle part. Il n’y a aucune surveillance sur place des mises à mort. Comme les kangourous sont des marsupiaux nocturnes, ils sont actifs la nuit et, par conséquent, les abattre en grand nombre est plus facile à ce moment-là. Ils sont également très vulnérables à la méthode de chasse aux projecteurs, se tournant souvent pour faire face à la lumière. Des permis sont demandés pour éliminer les kangourous pour de nombreuses raisons allant de l’agriculture au défrichement pour le développement, en passant par d’autres événements d’origine humaine. Bien que des codes de pratique aient été élaborés à destination des agriculteurs et des tireurs afin de réduire la cruauté, la surveillance s’avère souvent impossible et les recherches ont montré à quel point le non-respect des règles est répandu. Des lanceurs d’alerte nous ont fourni des témoignages directs sur le traitement brutal réservé aux kangourous et à leurs bébés.
Quels sont les pays ou continents qui importent le plus de produits issus des kangourous ? Quels sont-ils ?
Les plus gros importateurs se trouvent en Europe. Ils font venir de la viande pour la nourriture des animaux de compagnie et des humains, et des peaux pour la mode et les articles de sport. Les principaux importateurs de produits carnés sont la Belgique, l’Allemagne, les Pays-Bas et la France.
Existe-t-il à ces fins des élevages de kangourous ?
Non. Les kangourous sont des animaux sauvages qui ne peuvent pas être élevés. Il s’agit d’un massacre organisé sur la faune sauvage.
Dans quelles conditions avez-vous tourné ? Était-ce dangereux ?
Ce fut un tournage perturbant pour de nombreuses raisons, ne serait-ce que parce que le sujet lui-même l’est. La plupart des gens sont choqués d’apprendre ce que les kangourous subissent nuit après nuit ! Prendre conscience de l’échelle à laquelle ces animaux sont massacrés est extrêmement dérangeant, et assister à ces tueries de masse a été traumatisant. Nous avons été les témoins directs du traitement subi par les bébés kangourous et les individus blessés qu’on laisse lentement agoniser. Tout cela constitue une expérience bouleversante. Il y a eu clairement des situations où ce n’était plus simplement des hommes tirant sur des kangourous la nuit, dehors dans le désert. Il était essentiel d’avoir des gens solides dans notre équipe.
Comment avez-vous choisi les lieux de tournage? Pendant combien de temps avez-vous filmé et à quels endroits?
Pour produire Kangourou, nous avons dû parcourir des milliers de kilomètres à travers le superbe outback australien. Comme les kangourous sont présents dans l’ensemble du pays, nous avons tourné dans de nombreux parcs nationaux et élevages (d’une superficie pouvant aller jusqu’à 120000 hectares), rapportant des images du paysage et de l’écosystème. Les kangourous étant des herbivores timides, il est difficile de les surprendre et de nombreux voyages ont été nécessaires afin d’accumuler suffisamment de pellicule. Les agriculteurs nous ont dit que nous pourrions filmer sans problème le « fléau » qu’ils incarnent à leurs yeux — une métaphore souvent relayée par les médias australiens —, mais après quatre ans de tournage, nous n’avons jamais rien constaté de tel. Au contraire, nous avons été choqués par le peu de kangourous que nous avons croisés. Nous avons également tourné dans les pays qui importent du kangourou, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, mais aussi dans ceux qui, à l’inverse, bannissent ce commerce, comme la Russie qui a interdit l’importation de viande pour des questions d’hygiène, ou encore la Californie dont l’interdiction porte sur l’ensemble des produits issus du kangourou. Nous voulions donner aux spectateurs un panorama complet de ce qui arrive aux kangourous à l’échelle mondiale.
Qui avez-vous interviewé pour le film et pourquoi ? Quelle est leur contribution ?
Nous savions que nous devions nous immerger dans tous les aspects de l’histoire et nous avons travaillé d’arrache-pied afin d’obtenir des entrevues auprès de nombreux intervenants différents. Nous avons interviewé des Aborigènes australiens, des scientifiques, des tireurs commerciaux, des agriculteurs, des politiciens, des artistes, des soigneurs d’animaux sauvages, des chefs et des activistes. Il s’agissait d’enquêter sur la plus grande tuerie de faune au monde, de comprendre comment tout a commencé et perdure encore aujourd’hui. Nous avons rencontré de nombreuses personnes entretenant de forts liens émotionnels avec les kangourous, et divers points de vue sur leur statut d’animaux sauvages et leur « gestion » en tant que « nuisibles ».
«En tant qu’Australien, je suis impliqué dans la défense des animaux en Australie depuis plus de 40 ans, donc je suis au courant de l’énorme ampleur du massacre de kangourou dans ce pays, et aussi du fait que beaucoup de kangourous ne meurent pas instantanément. Je veux que cela prenne fin, alors j’ai accepté avec plaisir de participer à un film qui dénonce la manière dont les kangourous sont traités en Australie.»Pr Peter Singer
Que retiendra le public après avoir vu votre film ?
Avec des images à couper le souffle de kangourous dans la nature, nous espérons que le film fournira aux gens une expérience inédite de cette espèce unique et mettra sur le tapis un débat que les Australiens rechignent à avoir. Il est temps que les gens en Australie et dans le monde sachent ce qui se passe avec cette icône internationalement célébrée et se posent la question suivante : pourquoi personne ne réagit devant le traitement barbare et le massacre à grande échelle de ces animaux ?
«Nous devons encourager des attitudes de respect vis-à-vis de tous les animaux et accorder plus d’attention à leurs intérêts propres.
Pour agir, demandez à vos dirigeants de ne pas autoriser l’importation de produits fabriqués à partir de kangourous: viande, fourrure ou cuir. Et bien sûr, n’achetez jamais ces produits vous-même.
»Pr Peter Singer
Vous pouvez acheter vos billets pour les deux séances organisées à Paris le mardi 5 juin, et Strasbourg le mercredi 6 juin.
Crédit Photos: Couverture: Hoping Pictures (Kangaroo Dundee, Mick McIntyre & Kate McIntyre Clere / Peter Singer par Aletta Vaandering