Les rats

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21.09.2017
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Le rat (Rattus sp.) vit dans le cadre d’une organisation sociale élaborée. Il fait preuve d’une intelligence cognitive, d’un sens émotionnel et moral hors pair.

Le rat (Rattus sp.) vit dans le cadre d’une organisation sociale élaborée. Il fait preuve d’une intelligence cognitive, d’un sens émotionnel et moral hors pair.

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Les rats

Fiche sentience sur les rats / le rat

Une multitude d’espèces sous un seul vocable

Si le nom vernaculaire de « rat » désigne une centaine d’espèces — du minuscule rat des moissons (Micromys minutus) au rat de Gambie (Cricetomys gambianus) —, c’est le genre Rattus qui regroupe la cinquantaine d’espèces les plus communes. Notamment : Rattus rattus, le rat noir, et Rattus norvegicus, appelé surmulot, rat brun ou rat d’égout. Les deux espèces proviennent d’Asie, de Chine ou du Japon, et sont arrivées en Europe à la fin du Moyen Âge. Le rat domestique, exploité par les laboratoires, appartient à l’espèce Rattus norvegicus.

Sprague-Dawley, BioBreeding, Long-Evans, Rat Zucker et autres Haitless Rats sont les noms donnés à des lignées obtenues soit par mutations génétiques, soit à partir de sélections en laboratoire ou élevage depuis le début du XXe siècle.

Bien qu’appartenant à la même espèce, les rats domestiques diffèrent de leurs homologues sauvages de plusieurs manières : plus calmes, ils mordent moins, tolèrent une plus grande promiscuité et un espace restreint. Ils se reproduisent plus tôt avec une descendance plus importante. Leurs organes sont également plus petits.

Une organisation sociale complexe

L’organisation sociale des colonies de rats est faite d’interactions complexes. Elle permet à ces rongeurs de s’adapter rapidement aux changements. Le comportement de chaque individu résulte à la fois de ses caractéristiques physiques (sexe, taille…) et de ses expériences précédentes. Ainsi, un mâle dominant s’imposera en retournant un congénère sur le dos et en lui posant les pattes sur le poitrail. Il peut aussi présenter son postérieur pour marquer les dominés de son urine. Une fois ce rapport hiérarchique installé, les problèmes territoriaux, d’accouplement ou de tension dans un groupe social, s’estompent. 

Ce sont les rapports sociaux préexistants entre les rats qui déterminent la préséance pour la nourriture ou l’attribution des nids. Il y a ceux qui se nourrissent en premier, ceux qui sont tolérés grâce à leur soumission, et enfin ceux qui sont rejetés par le reste de la colonie et doivent vivre en marge.

Mais l’organisation sociale des communautés de rats ne peut être associée à une simple et inébranlable échelle de dominance. L’expérience bien connue de Didier Desor du laboratoire de biologie comportementale de la faculté de Nancy le prouve. Ce chercheur a réuni six rats dans une cage. Ils ne pouvaient accéder à une source de nourriture que par un tunnel inondé et devaient revenir à leur point de départ pour consommer la croquette ainsi récoltée. Rapidement, des rôles sont apparus : certains rats plongeaient pour aller chercher de la nourriture, d’autres volaient leurs congénères. L’expérience réitérée sur chacune de ces deux catégories isolément a montré que les mêmes types de rôles se mettaient en place. Cela indique que le statut d’un rat n’est pas figé mais dépend de son environnement social.

Des colonies solidaires

Certains comportements servent à la cohésion du groupe. Les moments de la toilette, par exemple, se déroulent plusieurs fois par jour, seul ou en groupe. De nombreuses circonstances s’y prêtent. Les rats se nettoient alors entre eux, de la tête au corps. Quand ce nettoyage est dirigé vers les yeux et la bouche, il a une fonction sanitaire, l’auto-toilettage ne permettant pas d’atteindre ces zones. Ce rituel favorise l’amitié entre les membres de la colonie. Il revêt une fonction de jeu-combat, permet la propagation d’une odeur commune et représente un signe d’attachement. En outre, ne disposant pas de système de régulation de leur température corporelle, les rats s’endorment en tas, les uns contre les autres, pour se tenir chaud.

Une communication d’une rare acuité

Chez les rats, des modes de communication développés se mettent au service de l’individu comme du groupe social.
 

  • Communication vocale

Ces rongeurs émettent des sons à deux niveaux : audibles et ultrasoniques. Les vocalisations perceptibles par l’humain vont du petit pépiement et couinement au hurlement perçant. Les premières interviennent au cours de légères interactions sociales comme le jeu-combat ou le toilettage de la tête. Elles peuvent être plus prononcées pour marquer un mécontentement ou une protestation. Les hurlements apparaissent lors des combats ou de grandes souffrances. Les rats grincent aussi des incisives (bruxisme), autant pour se détendre en cas de stress que pour aiguiser leurs dents qui grandissent tout au long de leur vie. Les ultrasons, inaudibles pour des oreilles humaines, sont réservés aux appels de détresse ou pour signaler un danger à la communauté.

  • Communication olfactive

Comme chez d’autres animaux sociaux, les rats ont recours aux odeurs pour se transmettre une multitude de messages olfactifs. Les phéromones d’urine permettent notamment la transmission d’informations à la colonie. Parvenus à maturité sexuelle, les mâles, en particulier, déposent de petites gouttes d’urine sur leur parcours, qu’il s’agisse de lieux ou d’objets. La quantité de liquide augmente pour masquer les odeurs non familières. C’est aussi le moyen de signaler leur présence et un attractif sexuel. Les femelles peuvent alors choisir au flair leur compagnon. Les rates marquent également par leur urine, souvent en période de chaleurs. Une autre communication chimique se pratique aussi grâce aux glandes odorantes situées sur les flancs des rongeurs. Ils frictionnent cette odeur sur les objets de leur environnement. La mère entretient également, par son parfum, un lien affectif avec ses petits et peut ainsi les apaiser.

  • Renifler : un outil pour communiquer

La façon de renifler est un indicateur de statut social. En effet, les rongeurs ne se servent pas que du bruit, de leurs postures ou des odeurs pour communiquer avec leurs congénères, mais aussi de leurs reniflements. Lorsque deux rats s’approchent l’un de l’autre, une sorte de code de communication s’établit entre eux : l’un affirme sa dominance en reniflant plus fréquemment, tandis que l’autre marque sa subordination en reniflant plus discrètement.

Une intelligence au service de la morale et de l’empathie

Au début des années 2010, à l’université de Chicago, l’équipe de Ben-Ami Bartal a démontré la capacité des rats à réfléchir pour sauver des congénères enfermés. Par là même, ils font preuve d’empathie en ne supportant pas l’emprisonnement de l’un des leurs. 

Dans cette expérience, un rat a été placé dans un tube transparent fermé, un second restant libre de ses mouvements. Aucune récompense n’était prévue pour inciter ce dernier à sauver le prisonnier. Au bout de quelques jours, il a trouvé le moyen d’ouvrir la cage. Plus étonnant encore, quand un morceau de chocolat était disponible, la libération du compagnon restait prioritaire et la friandise partagée. 

Dès 1959, ce comportement altruiste a été remarqué par le chercheur Russel Church : des rongeurs, habitués à actionner un levier pour se nourrir, cessaient de le faire quand ils découvraient que cet acte générait un choc électrique sur un camarade. Pour Jaak Panksepp, qui étudie l’origine des émotions et le bien-être animal, d’autres recherches seraient nécessaires pour savoir si ces comportements empathiques proviennent de fonctions cognitives supérieures, comme les neurones miroirs du cortex impliqués dans l’identification de l’autre, ou de réseaux plus primitifs liés aux émotions. Pour lui, il n’y a pas de doute : ces rats ressentent des émotions et elles proviennent de réseaux neuronaux, comme chez les humains et d’autres mammifères.

Une capacité de réflexion et de faire des choix

Une étude, menée en 2007 par des chercheurs de l’université de Géorgie, publiée dans la revue Current Biology, montre que les rats de laboratoire possèdent la capacité de réfléchir à ce qu’ils connaissent ou ne connaissent pas. Elle a été décrite dans Science Daily. 

L’étude impliquait ce qu’on appelle un test de « durée-discrimination ». La bonne réponse donnait droit à une récompense alimentaire, tandis qu’une mauvaise ne rapportait rien. Les animaux avaient aussi la possibilité de refuser complètement le test, auquel cas ils recevaient une récompense mais beaucoup moins importante que s’ils répondaient correctement. Il a fallu, bien entendu, mettre en place des conditions expérimentales qui permettent de montrer que les rats connaissaient leurs propres états cognitifs. Le test consistait à proposer aux rongeurs plusieurs réponses. Parfois, le choix s’avérait relativement simple, permettant aux rats d’accéder aisément à la récompense. Mais, souvent, il se compliquait, confrontant les animaux à un dilemme : continuer et tenter d’obtenir la meilleure récompense (en risquant de se tromper et de n’en recevoir aucune), ou refuser de choisir et se contenter de la petite récompense. Une partie de l’expérience consistait, par exemple, à présenter aux rats un son et à leur demander de déterminer s’il était « court » ou « long ». Lorsque les sons étaient proches des extrêmes, la discrimination était facile ; mais pour ceux avec des durées de milieu de gamme, le choix s’est avéré extrêmement difficile. Les chercheurs ont ainsi montré que les rats savaient quand ils ne connaissaient pas la réponse à une question.

Apprendre pour survivre, une mémoire d’éléphant

En 2008, dans La revue pour l’histoire du CNRS, Bruno Poucet, dans son article « Mémoires de rat… Code neural et représentation de l’espace », explique « qu’après un cheminement difficile, l’idée que l’animal puisse construire des représentations ou des mémoires de son environnement est maintenant largement ancrée dans les esprits ; cette hypothèse a débouché sur des résultats remarquables en neurologie des processus cognitifs » et le rat en est un exemple édifiant.

Vinciane Despret, dans son ouvrage Penser comme un rat, revient sur la fameuse expérience du labyrinthe qui démontre la capacité des rongeurs à retrouver leur chemin. Cette psychologue, docteure en philosophie, évoque les observations de biologistes américains qui ont inventé un terme pour caractériser les rats : ils sont « haptophiles », ils aiment toucher. Dans leurs déplacements, ils longent les murs en les touchant, développant ainsi une mémoire kinesthésique particulière. Dans leurs parcours quotidiens, ils cartographient dans leur corps le cours de leur route sous forme de lignes, courbes, rugosités, textures, ainsi que le froid et l’humidité. C’est la concordance de cette carte avec les sensations qu’ils récoltent au retour qui leur indique qu’ils sont sur le bon chemin. 

Cet apprentissage, tout comme leurs capacités d’analyse ou d’intuition, ont permis aux rats de survivre à bien des vicissitudes. Cette intelligence fait l’admiration de Jean-Marie Barbe, dernier descendant de la famille Aurouze, propriétaire depuis 1872 du dernier magasin de dératiseurs du centre de Paris « Le renard blanc ». Dans son film Faits comme des rats, il raconte un événement étonnant qu’aucun raisonnement scientifique ne permet d’expliquer. En 1969, lors du déplacement du plus grand marché parisien des Halles vers la commune de Rungis à quinze kilomètres de là, les rats avaient « quitté le navire » quelques jours avant par le réseau souterrain de la capitale pour prendre possession des nouveaux locaux. Julie Delfour, dans son livre Le rat, revient sur ce phénomène intrigant, et rappelle qu’André Malraux a adressé une lettre au Général de Gaulle qui fait allusion à « ces rats qui émigraient à Rungis comme si le génie des rats leur avait révélé l’émigration des Halles ».

Références :  

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