"Emprisonner des animaux est cruel, qu’il s’agisse de tigres ou d’orques"

Delphinariums
04.06.2020
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Cette tribune de John Hargrove vient de paraître dans un journal national aux États-Unis. Elle a été mise à jour pour One Voice et inclure le Marineland d’Antibes.

John Hargrove est un ancien entraîneur et superviseur d’orques à SeaWorld et Marineland à Antibes, en France, et auteur du best seller « Beneath the Surface ». Cette tribune vient de paraître dans un journal national aux États-Unis. John Hargrove l’a mise à jour pour One Voice afin d’y inclure le Marineland d’Antibes.

Comme le rappelle Valerie Greene dans sa tribune (« Tiger King a montré deux facettes de l’activisme animal », en date du 14 mai), je considérais autrefois qu’entrer chez SeaWorld était un travail de rêve. Je suis tombé amoureux des orques quand j’étais enfant, à l’occasion d’un voyage en famille à SeaWorld. Ma carrière a débuté en 1993, lorsque j’ai obtenu un poste d’apprenti chez SeaWorld au stade des orques. J’ai ensuite gravi les échelons jusqu’au poste d’entraîneur principal le plus élevé au Shamu Stadium.

Au cours de mes quatorze années de carrière, j’ai travaillé avec vingt orques dans trois parcs marins différents. Durant deux ans, j’ai été superviseur en charge du stade des orques de Marineland Antibes, devenant le premier entraîneur au monde à nager avec ces animaux. Ma tâche consistait à leur enseigner toutes sortes de cascades inouïes et à jouer dans l’eau avec eux lors des spectacles donnés dans le stade nouvellement construit. Et c’est mon amour pour eux qui m’a fait remettre ma démission après m’être posé la question primordiale : maintenir des orques ou n’importe quel autre animal en captivité pour le profit est-il une bonne chose ?

J’ai compris que voir des orques et des dauphins faire des tours ne favorisait en rien le respect qui leur est dû et contribuait encore moins à leur survie dans la nature. Tout au contraire, je me suis rendu compte que cela ne faisait que déshumaniser ces animaux très intelligents et glorifier les abus dont ils sont victimes. J’aimais les orques plus que tout, mais j’ai finalement dû admettre que mon amour ne suffisait pas. Il est devenu clair à mes yeux que nous ne serions jamais en mesure de répondre à leurs vrais besoins.

Pour les orques et les dauphins contraints de se produire à SeaWorld ou Marineland, pour les éléphants des cirques redoutant les coups d’ankus, pour les tigres exploités par des individus comme « Joe Exotic », c’est une impasse. Les animaux ne sont jamais des participants volontaires : ce sont des captifs condamnés à obéir, qui souffrent de la faim (on me demandait de priver de nourriture les orques qui ne faisaient pas leur travail – parfois jusqu’aux deux tiers de leurs rations quotidiennes), qui se font battre ou pire encore.

Photo : Melissa HargrovePhoto : Melissa Hargrove

Au moins cinq tigres ont été abattus au zoo routier de « Joe Exotic ». Près de trois douzaines d’éléphants, dont cinq bébés, sont morts aux mains de Ringling Bros., et plus de quarante orques – dont beaucoup de celles avec qui je travaillais – ont péri dans les bassins exigus de SeaWorld. Quatre des sept orques que j’entraînais à Marineland Antibes sont, à l’heure actuelle, décédées. Bien que Shouka soit le premier bébé orque à être né à Marineland, je n’ai pu empêcher que la direction l’éloigne de sa mère Sharkane et la vende en 2002 à un parc marin aux États-Unis. Shouka a passé les dix années suivantes de son existence à l’isolement, dans un bassin d’une fraction de la taille de celui de Marineland. Ce n’est pas de la préservation : c’est du carnage.

Je ne regrette pas mes années passées à SeaWorld ou Marineland en France parce que si je n’avais pas eu la carrière que j’ai eue, je n’aurais jamais été en mesure de révéler au monde le vrai visage de l’industrie de la captivité. Je n’aurais jamais pu fournir de témoignage direct d’une décennie d’expérience en tant qu’entraîneur et superviseur en chef d’orques dans le documentaire Blackfish, ni donner toutes les interviews avec les médias qui ont suivi. J’ai également été témoin-expert auprès du gouvernement fédéral et de la législation californienne qui protège désormais les orques en captivité et a obligé SeaWorld à restreindre significativement la façon dont il les utilise pour le « divertissement ».

Plus important encore, elle a forcé l’entreprise à mettre fin à son programme d’élevage et de séparation des mères orques d’avec leurs petits. Je n’oublierai jamais l’énorme quantité de médicaments que je donnais chaque jour à tant de ces animaux, ni la façon dont j’ai relativisé toutes les maladies qui les ont tués prématurément afin de pouvoir suivre la ligne de l’entreprise. Les slogans édictés par le département des relations publiques de SeaWorld, répétés ad nauseam, « des soins vétérinaires de classe mondiale » et « nos animaux sont en bonne santé et épanouis », sont assurément faux.

Bien sûr, j’ai également perdu mon amie Dawn Brancheau et mon collègue Alexis Martinez. Comme si leur mort n’était pas assez traumatisante, ceux d’entre nous qui ont travaillé à leurs côtés et qui se sont souciés d’eux ont dû écouter en silence la direction de SeaWorld trouver un moyen de blâmer Dawn pour avoir été démembrée. Concernant Alexis, SeaWorld n’a, à ce jour, toujours pas prononcé son nom dans sa tentative de se dédouaner de toute responsabilité dans son décès. Les gens de SeaWorld ont nié sans vergogne, sous serment, savoir même qu’il était dangereux pour les entraîneurs de travailler dans l’eau avec ou à proximité des orques. Un juge fédéral après l’autre a été témoin de leurs mensonges. Ces juges les ont publiquement interpellés dans leurs arrêts cinglants très critiques à l’égard de la manière dont SeaWorld a traité à la fois ses orques et ses entraîneurs.

Alors que la société a évolué et qu’elle est devenue plus instruite, je suis heureux que tant de gens se posent aujourd’hui ces questions cruciales : pourquoi ces animaux sont-ils captifs ? En quoi le fait de détenir des orques en captivité aide-t-il à la préservation des orques dans la nature ? Ne s’agit-il pas plutôt uniquement d’une affaire de profits ?

Pour moi, aimer les orques ne signifiait qu’une chose : partir et ne plus être complice de leur exploitation ni des abus dont elles sont victimes.

Si l’on veut que les animaux de toutes les espèces continuent d’exister, il faut les protéger dans leurs habitats naturels, et non les emprisonner pour le divertissement.

John Hargrove,
Ancien dresseur d’orques à SeaWorld et Marineland à Antibes et auteur du best seller du New York Times « Beneath the Surface », il dédie à présent tout son temps à la défense des orques en liberté.

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