Quelque chose d'horrible se passe au Miami Seaquarium
Au moment où j’écris ces lignes, je tiens à ce que vous sachiez tous que d’un point de vue professionnel, je suis plus en colère que je ne l’ai jamais été au cours de mon existence.
Ce texte a été écrit par la Dre Naomi Rose et publié sur sa page Facebook le 5 octobre dernier. Il est reproduit ici et traduit avec son aimable autorisation.
Il est temps pour moi d’écrire ce billet.
Au moment où j’écris ces lignes, je tiens à ce que vous sachiez tous que d’un point de vue professionnel, je suis plus en colère que je ne l’ai jamais été au cours de mon existence.
La semaine dernière, j’ai reçu un rapport de l’USDA sur une inspection effectuée début juin au Miami Seaquarium (MSQ). C’est sans conteste l’un des pires rapports d’inspection qu’il m’ait été donné de voir concernant un établissement de mammifères marins aux États-Unis. Plus particulièrement, et juste en haut de ce rapport long de dix-sept pages, l’inspecteur de l’USDA écrit que « les recommandations du vétérinaire traitant du MSQ quant au fait de devoir fournir aux animaux des soins vétérinaires adéquats et d’autres choses nécessaires à leur bien-être, ont été à plusieurs reprises ignorées ou rejetées au cours de l’année écoulée. »
Cette phrase met en lumière deux problèmes. Premièrement, la clé de voûte du système visant à protéger le bien-être des animaux sauvages détenus dans les zoos et les aquariums est que les vétérinaires agréés et expérimentés de la faune sauvage peuvent et doivent annuler toutes les décisions prises par des personnes haut placées dès lors que le bien-être des animaux est en jeu. C’est-à-dire que lorsqu’un cadre décide par exemple de promouvoir les relations publiques, d’améliorer les rendements ou de mettre l’accent sur l’esthétique, le vétérinaire traitant peut et doit dire, le cas échéant : « Cette décision n’est pas dans l’intérêt des animaux, aussi je recommande de l’abandonner / la modifier » – auquel cas la décision, en effet, est censée être abandonnée ou modifiée.
Chaque fois que quelqu’un critique le système (ou signale le conflit d’intérêts assez évident que rencontre un vétérinaire employé par un établissement lorsqu’il s’aventure à contredire tout ce que « le patron » pourrait vouloir), le Service d’inspection de la santé animale et végétale de l’USDA (APHIS), ou des associations professionnelles, ou encore l’établissement lui-même, rétorquent d’une seule voix : « Les vétérinaires ont le dernier mot et ne permettraient jamais qu’il se passe quoi que ce soit qui mette en danger la santé ou le bien-être d’un animal. » Il n’y a vraiment rien de pire pour un inspecteur de l’USDA que de devoir signaler que les responsables d’un établissement ne tiennent pas compte de leur vétérinaire traitant. La mise à l’écart du vétérinaire traitant sape le fondement de la protection du bien-être des animaux captifs aux États-Unis.
Deuxièmement, le MSQ est certifié « sans cruauté » par American Humane et agréé par l’Alliance of Marine Mammal Parks and Aquariums. (Il est intéressant de noter qu’il n’est PAS accrédité par l’Association of Zoos and Aquariums.) Tout établissement pour lequel la première note figurant dans un rapport d’inspection de l’USDA relève que les recommandations du vétérinaire traitant ont été ignorées au cours de l’ANNÉE ÉCOULÉE ne devrait plus être homologué par un organisme extérieur ou une association professionnelle.
Il y a quelque chose de profondément pourri dans les États de Floride et de Washington DC.
La plus ancienne orque captive du monde vit au MSQ dans le plus petit bassin d’orques du monde. Elle est diversement connue sous les noms de Lolita, Tokitae et Sk’aliCh’elh-tenaut, et elle a cinquante-six ans. Le rapport la surnomme « Toki » (diminutif de Tokitae) et je ferai donc de même. Son bassin est si minuscule qu’il viole techniquement les normes d’espace honteusement obsolètes et inadéquates de l’Animal Welfare Act. Pour des raisons trop complexes pour être expliquées ici, le MSQ a été autorisé à maintenir Toki dans un bassin dont la profondeur est inférieure à la longueur de l’orque, et si étroit qu’elle doit virer sur sa nageoire et tourner immédiatement après un coup de queue sur toute sa largeur.
(Le rapport d’inspection signale en fait que Toki a souffert d’une blessure à la mâchoire inférieure plus tôt cette année, due peut-être au fait qu’elle est entrée en collision avec la paroi du bassin après avoir effectué un saut « de tête » ou une nage rapide, comportements que la vétérinaire a recommandé de ne plus faire effectuer à Toki en raison de son âge. Le dresseur, en poste depuis six mois seulement, a ignoré cet avertissement.)
À l’origine, Toki vivait avec une autre orque, un mâle prénommé Hugo. Tous deux étaient des adolescents lorsqu’ils ont été capturés parmi la population d’orques résidentes du Sud (SRKW), respectivement en 1970 et 1968. Hugo est décédé d’un anévrisme cérébral en 1980. Depuis lors, Toki est détenue principalement avec des dauphins à flancs blancs, mais elle interagit rarement avec eux de manière positive. Étonnamment, ses dents sont en bon état, ce qui, à mon avis, est la raison principale pour laquelle elle est toujours en vie. J’ai toujours pensé que la mauvaise dentition de 70 % des orques captives – due au fait qu’elles mâchonnent les murs et les barrières – représente l’un des principaux facteurs de leur mortalité précoce. (Corky, détenue au SeaWorld de San Diego, qui est à peu près du même âge que Toki, a les dents usées, et il est donc clair que la longévité ne dépend pas d’une bonne dentition.) Mais ce n’est pas parce que ses dents sont robustes que sa santé actuelle est bonne. De fait, selon le rapport d’inspection, la santé de Toki est bel et bien précaire.
Lorsque j’ai pénétré pour la première fois le monde de la défense des mammifères marins, il y a de cela bientôt trente ans, je me suis efforcée, avec de nombreux autres protecteurs et militants, d’élaborer un plan pour libérer Toki de son bassin minuscule. J’ai écrit des lettres de plainte, consulté des avocats pro bono, je suis allée à Miami et j’ai rencontré des sommités locales qui voulaient m’aider. Aucun appel n’a jamais ému Arthur Hertz, PDG de la société qui possédait alors le MSQ. J’ai continué à soutenir les efforts de celles et ceux qui restent concentrés sur le bien-être de Toki, mais je suis moi-même passée à une autre étape, celle d’essayer d’apporter des changements positifs au niveau politique pour tous les mammifères marins captifs.
Le MSQ a été racheté par Palace Entertainment en 2014. D’après ce que je comprends, en réponse à ce transfert de propriété, il y a eu un renouvellement presque complet du personnel au cours des années suivantes. Je soupçonne que cette rupture dans le suivi des soins a beaucoup à voir avec la grave détérioration de la situation sur place. Toki a apparemment perdu tous ceux avec qui elle s’était familiarisée (son dresseur principal travaille avec elle depuis moins d’un an) et qui la connaissaient alors qu’elle prenait de l’âge. Au lieu que cette vénérable dame soit traitée dignement par le MSQ, le rapport d’inspection prouve que sa direction la maltraite. Il est difficile pour moi d’exprimer à quel point je trouve cela horrible.
L’inspecteur a également signalé que le MSQ avait réduit la « base » alimentaire de Toki (le poids total des poissons dont on la nourrit chaque jour) de 72,5 à 59 kilos, malgré les objections de la vétérinaire. On ne sait trop pourquoi elle a été diminuée, mais encore une fois, cela n’a guère d’importance puisque la vétérinaire s’y est opposée. La quantité de nourriture fournie à un animal est CLAIREMENT du ressort du vétérinaire ! La vétérinaire était également préoccupée par le niveau d’hydratation de Toki : les cétacés tirant leur eau du poisson qu’ils mangent (aucun mammifère ne boit d’eau de mer), elle craignait qu’elle ne se déshydrate.
Mais voici une citation tirée du rapport qui dépasse tout simplement l’entendement :
«À partir du 25 février 2021, du capelan « à ventre mou fragile » de mauvaise qualité et qui sentait mauvais a été donné aux mammifères marins en dépit des inquiétudes de certains des dresseurs et du vétérinaire traitant. Les cétacés en ont mangé pendant huit jours, les pinnipèdes entre deux et quatre. Plusieurs animaux se sont privés de nourriture et des selles anormales ont été observées chez d’autres. Les données médicales entrées par le [vétérinaire traitant] concernant Toki […] ont listé les conséquences de l’absorption de poisson de mauvaise qualité sur elle et d’autres animaux du parc. Une semaine plus tard, Toki a développé une inflammation selon ses analyses de sang…»
Quel zoo ou aquarium agréé par des professionnels n’importe où sur cette terre donne de la MAUVAISE NOURRITURE à ses animaux ?…
Le rapport continue. Divers animaux (cétacés, pinnipèdes et lamantins) de l’établissement souffrent de lésions oculaires et d’infections dues au manque d’ombre et à la mauvaise qualité de l’eau (dont la surutilisation de chlore dans certains bassins et sa sous-utilisation dans d’autres).
Pire encore : plusieurs dauphins ont été blessés et/ou sont morts au MSQ au cours des trois dernières années, en raison de problèmes de compatibilité. Pour faire court, les dauphins se sont battus entre eux. Deux ont été grièvement blessés et trois autres sont décédés des suites des traumatismes infligés par leurs camarades de bassin.
Les défenseurs des animaux ont souvent le sentiment que les autorités ne prendront pas de mesures coercitives contre un établissement tant que la mort d’un animal n’y sera pas à déplorer. Eh bien, TROIS dauphins du MSQ ont été tués par leurs congénères (au cours de la même période, deux autres sont décédés pour d’autres raisons ainsi qu’un bébé lion de mer – soit un record de mortalité accablant sur une période aussi courte pour n’importe quel établissement). Ce n’est pas la faute des dauphins : dans la nature, ils ne se seraient jamais approchés les uns des autres ou auraient disposé de beaucoup d’espace pour fuir leur agresseur. Mais au MSQ, apparemment, malgré un, deux et maintenant TROIS dauphins tués, peu ou pas d’efforts ont été déployés pour séparer les animaux incompatibles, ce qui aurait empêché cette tragédie de se répéter. Et il n’y a TOUJOURS aucune action coercitive de la part des autorités ! Que faut-il donc de plus pour que ça bouge ?
Au terme de cette litanie d’horreurs, le rapport note à plusieurs reprises que les infractions ont été corrigées avant l’inspection, ou devaient l’être dans des délais variables (certaines s’étendent encore dans le futur, bien que la plupart des délais soient dépassés).
Et c’est bien le problème. Ce que raconte ce rapport scandaleux, c’est que les infractions ont été ou seront corrigées, au moins assez longtemps pour réussir l’inspection suivante. Et il est donc extrêmement probable qu’à part un procès-verbal (qui n’entraîne pas d’amende), rien n’arrivera aux gens du MSQ. Ceux-ci ne recevront aucune pénalité, ils pourront conserver leur permis APHIS et aucun animal ne leur sera confisqué. Et RIEN NE CHANGERA. S’ils sont susceptibles d’être à nouveau cités à l’avenir pour des infractions similaires, ils savent qu’ils ne subiront aucune conséquence réelle pour avoir rogné sur les dépenses et fait preuve de négligence.
Pourquoi l’Alliance of Marine Mammal Parks and Aquariums a-t-elle donné son agrément au MSQ ? Les membres de cette association professionnelle sont censés être les meilleurs d’entre les meilleurs. Le bassin de Toki a toujours été ridiculement petit et obsolète – en quoi est-ce « le meilleur » ? Bon nombre des infractions signalées ne datent pas d’hier. Les dauphins décèdent dans des circonstances troublantes depuis au moins 2019 et les problèmes relatifs à la qualité de l’eau ont causé des lésions oculaires aux animaux, ce qui ne survient pas du jour au lendemain. Pourquoi American Humane certifie-t-elle un endroit pareil ? L’un ou l’autre de ces organismes envisage-t-il de retirer son agrément au MSQ ?
Et pourquoi ces espèces ne sont-elles pas couvertes par l’Endangered Species Act (ESA) – à savoir les lamantins et Toki elle-même, membre des orques résidentes du Sud (SRKW) répertoriées par l’ESA – EFFECTIVEMENT PROTÉGÉES par le Fish and Wildlife Service du ministère de l’Intérieur (responsable des lamantins) et le National Marine Fisheries Service du ministère du Commerce (responsable des SRKW) ?
Et comment se fait-il que, même après des infractions aussi flagrantes à l’Animal Welfare Act, le MSQ ait toujours sa licence APHIS ? Comment est-il possible que cet endroit soit toujours en activité ?
Est-ce parce que l’agence pense qu’il n’y a pas d’autre endroit où envoyer ces animaux ? Comment est-ce possible ? Les zoos et aquariums ne sont-ils pas censés former une communauté s’assurant que tous ses animaux sont collectivement pris en charge ? Et qu’en est-il des autres membres de l’Alliance ? Si on leur pose la question, ne devraient-ils pas accepter d’accueillir les animaux confisqués ? Situé pour ainsi dire juste à côté, le SeaWorld d’Orlando se targue d’incarner au plan mondial le meilleur exemple de soins aux orques, sans parler de la Floride. Ne devraient-ils pas intervenir, dès lors qu’il est clair que les animaux sont maltraités, et proposer d’accueillir Toki, ne serait-ce que pour lui assurer une retraite sans qu’elle soit obligée de manger du POISSON POURRI ?
Je ne dis pas que c’est ce que je désire pour Toki et les autres mammifères marins du MSQ… Je veux qu’ils aillent dans des sanctuaires. Mais celui qui pourrait les recevoir n’est pas encore opérationnel et Toki, compte tenu de son âge, doit être sauvée MAINTENANT, pas l’année prochaine ni l’année d’après ! La déplacer ne serait-ce qu’à Orlando représente un risque, mais franchement, la laisser au MSQ semble en être un plus grand encore, d’après ce rapport.
À l’Alliance et à American Humane, voici ce que je dis : vous êtes les gardiennes de votre sœur. N’est-ce pas l’objet et le but de votre agrément ? À moins que vous n’agissiez à la suite de ce rapport, quand bien même il ne s’agirait que de retirer vos accréditations ou, mieux encore, d’intervenir pour garantir que les fautes commises par votre établissement partenaire ne se reproduisent plus, tout ce que vous prétendez défendre ne sera jamais que du vent. À l’USDA, au ministère de l’Intérieur, au ministère du Commerce des États-Unis : si tout ce que vous faites revient à donner une tape au MSQ sans lui infliger de pénalité, il est clair que votre application des lois ici en vigueur n’est qu’un tigre en papier. Quant à l’affirmation pro-cap selon laquelle les vétérinaires des établissements sont les arbitres ultimes en ce qui concerne le bien-être animal, elle ne vaut pas tripette. Nous autres qui appartenons à la communauté des défenseurs des animaux l’avons toujours su, mais nous pensions que c’était dû au conflit d’intérêts évident que rencontraient ces vétérinaires. Découvrir que certains vétérinaires tentent effectivement de tenir tête à leurs patrons et sont susceptibles d’être licenciés sans explication n’est, je suppose, pas vraiment surprenant, mais cela sonne le glas de tout argument affirmant que les normes qu’ils posent protègent réellement les animaux.
En règle générale, je ne demande pas aux gens de diffuser mes blogs et je laisse à mes lecteurs le soin de décider quoi faire. Mais cette fois, je vous demande de partager ces informations. Il est très clair à présent que la loi ne protégera JAMAIS Toki. Je ne sais ce qui fonctionnera, après toutes ces années durant lesquelles tant de personnes ont essayé de l’aider, mais à tout le moins, nous devons faire connaître ce qui s’est passé au MSQ. Sur la base de ce seul rapport d’inspection, le MSQ manque lamentablement à son obligation de soins envers cet être merveilleux qu’est Toki.
Il faut que quelque chose soit fait.
Photo : Michael G.Workman, Miami Sequarium, USA, 2014