le mardi 21 mars 2017 | 1

Le nom du monde est forêt*

Le nom du monde est forêt*

Mis à jour le 07 mai 2019

La destruction des forêts primaires provoque une aggravation du changement climatique. Avec elles meurent des espèces rares et des cultures subtiles, humaines ou non-humaines, dont nous ne saurons jamais rien.

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La scie entaille l'écorce du gigantesque dipterocarp. Tout là-haut, une mère orang-outan et son petit s'accrochent aux ultimes branches de la canopée, comme pour fuir vers le ciel. Mais l'arbre est tronçonné sur toute sa largeur. Lentement, majestueusement, inexorablement, son tronc haut de quatre-vingts mètres vacille, s'incline puis s'effondre dans un tonnerre de bois brisé, de lianes arrachées, de cris rauques et d'envols de calaos apeurés. En tombant, le géant emporte dans la mort mille nids, mille vies, mille petites tanières cachées dans les replis de son écorce. Il en écrase mille autres sous sa masse énorme. Lui-même est un être vivant, conscient de ce qui l'entoure à la manière des plantes. Et tandis qu'on décroche le petit singe roux du corps brisé de sa mère, l'arbre couché perd sa sève comme du sang. On l'entraîne bientôt sur les chemins de boue, griffés par les camions dans la chair de son monde : la forêt pluviale de Sumatra.

Partout, la scène se répète. Dans le bassin du Congo ou de l'Amazone, en Thaïlande, au Cambodge, en Indonésie, au Canada, partout, les forêts disparaissent sous le rouleau compresseur de la folie humaine. Des barrages monstrueux les engloutissent, des villes tentaculaires les dévorent peu à peu, des élevages de bovins les achèvent. Les arbres géants sont abattus pour l'industrie du bois précieux. Des incendies sont allumés pour faire place aux plantations de palmiers à huile. Des mines de coltan excavent la terre jusqu'aux dernières racines au cœur des parcs nationaux congolais. Leurs travailleurs mangent de la viande de brousse et tuent les gorilles.

Aucun compte n'est jamais tenu des habitants de cet océan d'arbres qu'on ravage.

Les forêts tropicales sont pourtant l'écrin de la plus merveilleuse biodiversité au monde, grenouilles arboricoles, insectes inouïs, plantes médicinales inconnues et cultures nonhumaines subtiles. La forêt abrite également des peuples humains qui exploitent ses ressources avec respect depuis des millénaires. En symbiose avec elle, ils la vénèrent et la protègent. Mais la magie de leurs chamans ne peut rien face aux chercheurs d'or armés jusqu'aux dents, aux bulldozers et aux militaires qui les expulsent de leurs terres ancestrales et réduisent à néant leurs traditions.

Chaque année, plus de treize millions d'hectares de forêts disparaissent, soit l'équivalent de la surface de l' Angleterre ou de quarante terrains de football chaque minute. Ce biotope est pourtant essentiel à la stabilité du climat et à la conservation des sols. Sa destruction augmente encore la quantité de CO2 dans l'atmosphère, et avec elle, le changement climatique et son cortège d'inondations, de sécheresses et de glissements de terrains.

Autrefois, nous vivions avec la forêt. Elle a cerné nos hameaux jusqu'à la fin du Moyen-Âge. D'immenses étendues de chênes couvraient alors la France entière. Les ours, les loups, les lynx y prospéraient en paix, régulant avec harmonie la nature autour d'eux. Aujourd'hui, tout est rasé ou presque. Des champs, des autoroutes, des villes, des parkings à l'infini ont recouvert depuis longtemps les futaies et les bois, qui n'occupent plus qu'une faible surface du continent européen. Nous avons oublié la majesté des arbres, nous avons perdu le secret du dialogue avec eux. Et aujourd'hui déjà, nous commençons à le payer cher. Les forêts sont un trésor de l'évolution : aidez-nous à les protéger !

* Titre d'un très beau roman d'Ursula Le Guin

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Commentaires 1

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wettlé | mardi 21 mars 2017

Très beau texte réaliste, grave et attristant quand est-ce que l'humain mais surtout les autorités de chaque pays que rien ne nous appartient sur cette terre que nous partageons avec d'autres êtres vivants tout autant importants que les humains, quand est-ce qu'il y aura réellement une prise de conscience pour préserver toutes ces richesses de la terre, pour protéger et défendre toutes les autres espèces vivantes qui ont leurs places et qui doivent être considérées et respectées et non massacrées, torturées et tuées juste pour les besoins des humains. Il est temps que les gouvernements s'interrogent et s'engagent pour la protection de ces forêts en refusant en cessant de soutenir la mondialisation qui est synonyme de destruction des animaux, des forêts et de la nature. J'aime énormément ce texte qui dénonce et démontre à quel point la planète va mal, très mal, à quel point les humains sont responsables de toutes les catastrophes de par sa folie "meurtrière" qui n'est avide que de destruction à tous niveaux. Comment pouvons nous être heureux, être en paix avec nous mêmes en voyant tous les jours plus, de nombreux animaux voués à disparaître à cause de l'homme alors qu'il suffirait de prendre des mesures strictes, de lutter sérieusement contre le braconnage, de cesser de soutenir les chasseurs, les pêcheurs, d'interdire définitivement tous trafics d'animaux qu'ils soient sauvages ou autres, d'interdire toutes exploitations et utilisations d'animaux toujours pour satisfaire la médiocrité humaine, la bassesse humaine et la cruauté humaine.
Nous approchons des présidentielles et je me permets de dire ma révolte, mon mécontentement et mon indignation face à des candidats qui restent dans l'ensemble dans l'indifférence totale dans le mépris et dans l'absence de respect et de considération de la cause animale avec tout ce qu'elle englobe parce que les animaux pour eux, ne représentent rien car ne peuvent voter............
"la grandeur et la valeur d'une nation se mesure de la façon dont elle se comporte et agit envers les animaux" GANDHI
La France est bien loin de la grandeur qu'elle veut se donner par son manque de civisme et de respect envers les animaux.
Merci à One Voice je suis toujours très émue et bouleversée de lire toute l'horreur immonde dont sont victimes nos frères les animaux pour lesquels j'ai une immense considération, admiration, amour et compassion bien plus que pour la plupart d'humains.